Véritable ovni du cinéma français, le réalisateur vient de fêter ses 91 ans, le 14 septembre dernier. Il nous a livré au fil des décennies un œuvre inclassable, intimiste et expérimental, marqué par des chefs-d’œuvre tels que Thérèse ou Pater.

Alain Cavalier n’a jamais cessé de questionner les codes du 7e art, tendant – au fil des années – vers un style cinématographique de plus en plus épuré, brisant les frontières entre fiction et réalité.

Avec de moins en moins de techniciens, des comédiens souvent non-professionnels, allant parfois jusqu’à la suppression des dialogues, celui qui se définit plus comme un « filmeur » que comme un cinéaste, comme un « portraitiste » plus qu’un réalisateur, offre à ses spectateurs un œuvre inclassable, intimiste et expérimental.

Retour sur la vie et la carrière de l’artiste, en quatre petites anecdotes cinématographiques.

1/ Alain Cavalier et Louis Malle

Alain Cavalier commence sa carrière de réalisateur en 1958 avec un premier court-métrage, L’Américain.

Mais la même année, c’est Louis Malle qui va véritablement l’intégrer au milieu du cinéma, en l’embauchant comme assistant réalisateur sur son film Ascenseur pour l’échafaud, puis sur Les Amants.

Quatre ans plus tard, en 1962, c’est de nouveau grâce au soutien de Louis Malle, qui décide de le produire, qu’Alain Cavalier réalise son premier long-métrage Le combat dans l’île. Louis Malle lui propose même son appartement personnel pour les préparatifs du film et lui permet également de décrocher un casting quatre étoiles : Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant. Un long-métrage politique et controversé – tout comme son second film, L’Insoumis, avec Alain Delon – traitant tous deux indirectement de la guerre d’Algérie, au moment où il est encore totalement tabou d’évoquer le sujet.

Si Alain Cavalier se sent déjà un peu prisonnier au sein de ce cinéma « traditionnel », regrettant le maquillage superficiel de son actrice et certaines contraintes liées aux codes cinématographiques classiques, on y décèle déjà, par moments, ce qui constitue la quête de toute sa carrière : quelques bribes expérimentales cherchant à déceler l’intériorité des personnages, à travers de nombreux gros plans sur les visages, sur les mains.

2/ S’absenter pour mieux revenir

Ses deux films suivants, Mise à Sac en 1967 et Chamade en 1968, sont de francs succès critiques et commerciaux. Mais Alain Cavalier se sent étouffé par ce cinéma qui ne lui ressemble pas et décide de s’arrêter là, au moment où sa carrière commence à décoller.

Il faut attendre huit ans pour que le cinéaste se décide à reprendre la caméra. Mais cette fois, il tourne son film comme il l’entend. Ainsi, Le Plein de super, sorte de ‘‘road trip’’ à la française sorti en 1976, est le premier film où il se considère réellement comme le réalisateur du film.

Toujours en quête d’authenticité, « là où le vrai l’emporte un peu quand même sur le faux, le nouveau sur le cliché », Alain Cavalier emploie des méthodes peu communes, à commencer par l’écriture du scénario, qu’il rédige avec la participation de tous ses comédiens, le fondant sur des expériences réelles vécues par chacun d’entre eux.

Le tournage s’est déroulé sur sept semaines, sans aucun projecteur, aucun maquillage ni aucun doublage. Tout le monde dans une voiture, les comédiens à l’avant, les techniciens à l’arrière, et Alain Cavalier… dans le coffre.

Et cette liberté, Alain Cavalier ne va plus jamais la laisser s’envoler.

3/ Thérèse, la consécration   

Alain Cavalier continue, au fil de ses films, sa quête de l’épure. Et lorsqu’il lit les mémoires de sainte Thérèse de Lisieux, il sait aussitôt qu’il vient de trouver le sujet de son prochain film.

« Je fais un film sur des personnes dont le silence est la règle. » Le dépouillement des carmélites est à l’image du dépouillement cinématographique qu’il recherche. Ce n’est pas une biographie, ni un documentaire, ni même une fiction : c’est un portrait, sensible et austère. Alain Cavalier tente de nous faire voir l’essence de sa vie intérieure, sans dimension théologique ou dramatique – une expérience sensorielle.

Son grand défi : le choix de l’actrice. Se sentant presque intime avec Thérèse de Lisieux, lui qui ne retranscrit à l’écran que ce qu’il connaît et ce qu’il aime, trouver le bon visage lui paraît d’abord mission impossible. Il pense en premier lieu à Isabelle Adjani, sans conviction. C’est en se rendant régulièrement au Conservatoire d’art dramatique qu’il rencontre Catherine Mouchet. « C’était une scène de Molière, je me souviens, j’étais à deux mètres de la scène. Catherine Mouchet jouait la servante d’une bourgeoise, elle se penchait pour la remercier, et je me suis dit que ça pouvait être elle. Je l’ai revue l’année d’après dans La mort de Mouchette de Bernanos, et là, j’ai compris que je n’y échapperais pas. »

Le film est la consécration du réalisateur. Il reçoit le prix du jury au festival de Cannes en 1986 et pas moins de six César l’année suivante, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Plutôt qu’un extrait du film, nous vous proposons un extrait d’Alain Cavalier qui se filme lui-même lors de l’écriture et la préparation de son film.

 

4/ Alain Cavalier et Vincent Lindon   

Impossible de ne pas aborder l’un de ses meilleurs films, Pater, sorti en 2011, qui suscite une ovation de dix-sept minutes au Festival de Cannes.

Grâce à la carte blanche accordée par son producteur Michel Seydoux, Alain Cavalier se lance dans ce nouveau film « ovniesque » et fait appel à Vincent Lindon… sans savoir de quoi va parler le scénario. Leur entretien dure deux minutes et Vincent Lindon dit simplement : « D’accord. »

Sur le plateau de tournage, il y a Alain Cavalier… et Vincent Lindon. L’un filme l’autre, tantôt acteur, tantôt filmeur : Alain Cavalier, réalisateur, propose un projet à Vincent Lindon. Alain Cavalier, président de la République, demande à Vincent Lindon de devenir son premier ministre… Pas de « moteur », ni de « action », ni de « coupez ».

C’est la première fois depuis des années qu’Alain Cavalier tourne à nouveau avec un acteur connu. L’initiative en revient à Vincent Lindon qui, dix ans plus tôt, en croisant le réalisateur dans la rue, lui avait confié : « Ça me rendrait vraiment triste si, dans ma carrière, je n’étais pas un jour filmé par vous. » Ce à quoi Alain Cavalier répond : « Écoutez, je crois que je ne retravaillerai jamais avec des professionnels. Mais si je devais un jour en filmer un, ce serait vous. Ça peut paraître un retour de compliment mais je le pense vraiment. »

À la sortie du film, Vincent Lindon est l’un des derniers à le voir et reconnaît avoir très mal vécu la projection, ayant l’impression de s’observer lui-même : « Dans Pater, on a l’impression, à juste titre, que je suis moins un personnage que moi-même. Pourtant, je n’ai jamais été autant hanté par un rôle. Il pouvait m’arriver de faire un footing le matin et de me dire que j’étais vraiment cool, comme Premier ministre, à courir ainsi sans garde du corps. »

C’est à la deuxième projection que Vincent Lindon appréhende toute l’ampleur du film, qu’il admet s’être pris « en pleine poire ».

Maïlys GELIN