Du copié-collé à l’inspiration, du motif à l’œuvre, de l’idée à l’histoire, dans l’audiovisuel, toutes les nuances sont possibles quand on parle de contrefaçon…

Dans les milieux de l’audiovisuel où la solidarité est parfois inversement proportionnelle aux coups tordus, on entend souvent fuser la remarque teintée d’amertume : « Il a volé mon histoire ; il a volé mon idée. » « Or ce n’est pas la même chose », fait remarquer Hubert Thilliet, chef du service juridique de la SACD (Société civile des auteurs dramatiques). Si une idée, en effet, ne peut pas être protégée, la mise en forme d’une histoire l’est « à condition que la trame narrative d’une fiction ou encore la caractérisation des personnages soient suffisamment établies ».

« Les idées appartiennent à tout le monde, renchérit Guillaume Thoulon, juriste de la SCAM (Société civile des auteurs multimédia), qui défend les droits des auteurs de documentaires. On dit qu’elles sont de libre parcours. » La notion juridique du « libre parcours » établit en effet que c’est la mise en forme de l’idée, c’est-à-dire la façon dont on l’exprime, qui constitue l’œuvre, et pas l’information. Personne ne « pique » les idées de personne : elles sont dans l’air du temps. Comme les poules, les idées font leur bonhomme de chemin et s’arrêtent où bon leur semble. Tandis que les œufs…

Ce sont les œuvres qu’on protège, pas les idées

Dans la pratique, c’est plus compliqué. « Un confrère m’accuse d’avoir volé son projet, un documentaire d’histoire dont il m’avait fait part il y a cinq ans, témoigne un réalisateur*. Mais ce documentaire ne s’est pas fait et nous nous sommes perdus de vue. Plus tard, j’ai eu accès aux mêmes sources et j’ai eu l’occasion de reprendre l’enquête. Ce réalisateur me menace maintenant de poursuites si je propose le projet à une société de production. Or cette découverte est publique, ainsi que les noms des scientifiques qui la portent. Est-ce que je risque quelque chose si je persévère ? »

On ne peut pas bloquer un projet pour une idée ni se réserver le monopole de faits connus de tous, insiste la SACD. « Ainsi y a-t-il eu deux biopics sur Yves Saint Laurent. On considère pourtant que ce sont deux écritures, deux réalisations, deux œuvres. » De même, un documentaire qui montrerait par exemple que les hôpitaux étaient mal organisés pendant la crise sanitaire ne peut pas être considéré comme le plagiat d’un autre sur le même sujet. « L’idée, aussi originale soit-elle, n’est pas protégée, pas plus que le travail d’enquête d’ailleurs !, martèle la SCAM, Seule la mise en forme l’est. »

Ce sont les ressemblances qu’on juge, pas les différences

En cas de litige, c’est sur les ressemblances des deux films réalisés ou sur la comparaison des deux projets que le juge appréciera, pas sur les différences… Par exemple, la trame narrative, les personnages, l’écriture, la musique, le montage : tout sera considéré pour évaluer le degré de ressemblance des deux œuvres. « Mais il faut reconnaître que sur la masse des films produits, les contentieux pour contrefaçon ne sont pas très fréquents, estime Hubert Thilliet. C’est lié en partie à des rapports de force qui ne sont pas en faveur des auteurs. Beaucoup sont en position de faiblesse et ils n’ont pas les moyens de se fâcher avec des producteurs connus du marché. »

C’est le cas de cette réalisatrice* qui se remet mal d’une déconvenue survenue il y a quelques années. « J’étais co-autrice d’un 52mn, explique-t-elle. Sans m’en avertir, le producteur a tourné un deuxième documentaire de 26mn à partir de mon écriture initiale. Je considère que c’est une contrefaçon. En effet, ce 26mn ‘‘clandestin’’ pour lequel il nie jusqu’à mon existence, était une partie du 52 mn, partie qu’il disait ne pas vouloir tourner. Or il en a fait un autre documentaire entier à mes dépens, vendu dans le monde entier. »

Comment se prémunir d’un cas de figure aussi pervers ? Les conditions de la collaboration prévues dans le contrat permettaient-elles ce revers ? Il y a toujours grand intérêt à lire attentivement un contrat avant de le signer, si besoin à le négocier et, surtout, à le conserver précieusement ensuite. Était-il prévu d’adjoindre un autre réalisateur, un autre scénariste ? Comment les auteurs se sont-ils répartis les droits ? Toutes ces questions doivent être analysées.

« J’ai écrit un projet documentaire pour une société de production qui m’avait fait signer un contrat d’option, nous confie un autre réalisateur*. À la remise du développement, le producteur était ravi mais il n’a pas voulu que je réalise et il a confié le projet à un autre réalisateur. Or j’ai pu lire le nouveau développement : des pans entiers de mon écriture ont été recopiés. » Si on peut prouver le copié-collé, la contrefaçon sera facile à faire valoir. On parlera alors de « contrefaçon servile » ! Mais c’est souvent plus subtil.

C’est l’originalité qui compte, pas l’antériorité

« Lorsqu’un scénario a beaucoup circulé et qu’un scénario s’est inspiré d’un autre, on parle dans notre jargon de ‘‘revendication de paternité’’ », explique Hubert Thilliet. Seul un tribunal peut trancher. Il jugera si les autres scénaristes se sont approprié 10 ou 15 % du scénario initial et répartira les droits entre les co-scénaristes. Les sociétés d’auteurs proposent parfois une médiation pour aider les différents protagonistes à revendiquer et départager ces droits. Il existerait, semble-t-il, deux types de plaignants : ceux qui ne sont jamais considérés comme auteurs, tels les techniciens et les enquêteurs, et ceux qui ont déjà un statut d’auteur.

En pratique, il est plus facile pour les seconds de faire valoir leurs droits face à ce que la propriété intellectuelle considère comme un délit, en particulier si ces auteurs figurent déjà au générique. La justice considère en effet que la contrefaçon est l’équivalent d’un vol immatériel et qu’il y a un dommage. L’affaire est portée devant un tribunal civil. La durée pour poursuivre est de six ans, douze ans si le délit était caché.

Dans ce cas, le délai commence à partir du moment où les faits « occultés ou dissimulés » sont connus. « Au-delà, il y a un dépérissement des preuves et on se méfie de la fragilité de témoignages anciens. » Pour constituer ces preuves, une précaution : déposer son écriture auprès de la SCAM (documentaire) ou de la SACD (fiction)… Ainsi l’auteur peut-il prouver qu’à telle date, il avait conçu le projet. À un détail près : « Ce n’est pas l’antériorité qui protège mais l’originalité ! »

Kakie ROUBAUD

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* En raison de la vulnérabilité de la profession, tous les témoignages de réalisatrices et réalisateurs restent volontairement anonymes.

 



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