Offrez-vous une bonne soirée de voyage en pleine terre aborigène, entre le 28 novembre et le 7 décembre ! Cinq courts-métrages sont proposés virtuellement en lieu et place du festival du cinéma aborigène australien, qui aurait dû fêter son 5e anniversaire cette année. BLACK AUSTRALIA : 80 minutes de dépaysement assuré.

Né en 2016, alors que de grands événements mettaient de plus en plus en lumière le cinéma autochtone, tel “Imaginative” au Canada, le festival du cinéma aborigène australien fête cette année son cinquième anniversaire. « En Europe, il n’y avait rien sur le cinéma autochtone, se souvient Greta Morton, fondatrice du festival du cinéma aborigène australien. Étant Australienne et métisse, connaissant bien la culture aborigène, et plus largement les cultures noires, j’ai eu envie de créer un événement qui mettrait en avant ce cinéma méconnu. On m’a répondu que c’était très “niche”… Mais les Français sont curieux et aiment les niches ! »

Une culture de 50 000 ans, un cinéma de 30 ans

La culture aborigène existe depuis près de cinquante mille ans. Dans ses gènes, il y a la tradition de raconter des histoires, de chanter, de danser… Ce sont les fameux chants des pistes – les songlines – qui appartiennent à la tradition orale et déploient un imaginaire si singulier. « Que le cinéma naisse dans un tel terreau est donc naturel, confirme Greta Morton. Mais les premiers films aborigènes ne datent cependant que d’une trentaine d’années, vers la fin des années quatre-vingts. »

Le cinéma aborigène a été découvert en France grâce au festival de Cannes. En 1993, la réalisatrice Tracy Moffat, dont un court-métrage avait déjà été sélectionné au festival quatre ans plus, voit son film Bedevil intégrer la sélection Un Certain Regard. En 2009, c’est au tour de Samson and Delilah de Warwick Thornton d’être présenté dans cette même section : il reçoit la Caméra d’Or du meilleur premier long-métrage. Suivent Toomelah d’Ivan Sen en 2011 et Les Saphirs de Wayne Blair l’année suivante. « C’est un cinéma d’excellence qui a souvent été primé dans les grands festivals, avec des films qui vont bien au-delà d’un art dans une niche, insiste la directrice du festival du cinéma aborigène australien. Nous sommes dans le cinéma d’auteur, avec des œuvres très fortes. »

Le public français est particulièrement réceptif aux œuvres venant d’Australie. Pour Greta Morton, cela serait notamment dû au fait que l’île-continent exerce depuis plusieurs années une forte attraction sur les jeunes français. « Vingt-cinq mille jeunes viennent chaque année en Australie avec un visa vacances-travail, pour un ou deux ans, mais sans avoir de compréhension de la culture aborigène, explique-t-elle. C’est ce qui m’a notamment motivé à faire ce festival. Ils font des road-trip, passent dans les communautés aborigènes mais sans avoir aucun repère ni connaissance de ce qui s’y vit. Ce festival se veut une porte d’entrée dans cette culture. »

5 courts-métrages (très) différents

Le festival du cinéma aborigène australien participe donc à la fois de la reconnaissance internationale du cinéma autochtone et de cette découverte d’une culture trop souvent ignorée. Cette année, COVID-19 oblige, il n’y aura pas de projections publiques, avec une vingtaine d’œuvres sélectionnées, mais un programme unique, BLACK AUSTRALIA, qui rassemble cinq courts-métrages aborigènes très… très différents.

1

Les deux premiers courts-métrages – des odes aux femmes fortes – reprenant certains codes occidentaux, nous ne sommes pas perdus. Le premier, My name is Mudju, réalisé par Chantelle Murray, revient sur un épisode douloureux de la colonisation (vécu par la grand-mère de la réalisatrice), lorsque les enfants aborigènes étaient enlevés de force à leurs parents pour être placés dans des institutions ou des familles d’accueil, jusqu’à l’âge de seize ans. Nous y entendons, en plus de l’anglais, le yugarabul, l’une des deux cent cinquante langues parlées en Australie.

« Quand nous faisons des films avec des communautés aborigènes, il y a des protocoles à suivre, précise Greta Morton. Nous ne pouvons ainsi pas choisir n’importe quelle langue aborigène et faire un film. Il faut toujours la permission de la communauté à qui la langue appartient, car chaque langue porte des histoires et des concepts. »

2

Dans le second court-métrage, Water, œuvre de John Harvey, avec Deborah Brown et Aaron Pedersen (connu pour avoir interprété le policier Jay Swan dans le film Mystery Road d’Ivan Sen), nous sommes en 2047 et suivons une femme enceinte dans un décor post-apocalyptique – une immense étendue aride et blanche, de glace ou de sel –, à une époque où la pénurie d’eau entraîne la condamnation systématique de toute nouvelle grossesse.

« Le réalisateur de Water vient des îles du détroit de Torrès, tout au nord de l’Australie, indique Greta Morton. Il a un rapport fort à l’eau, car la vie quotidienne là-bas tourne autour des activités liées à la mer, ce que nous retrouvons dans son film. »

3

Troisième court-métrage, Yulubidyi until the end commence à nous faire sortir de notre zone de confort. Œuvre de Curtis Taylor et Nathan Mewett, Yulubidyi mêle la question du handicap dans une tribu particulièrement isolée et dure, qui ne jure que par la force brute incarnée par le père et chef de tribu (l’acteur Trevor Jamieson, très connu en Australie), avec celle d’une croyance locale dans une divinité, le protecteur Mamu.

« Ce film a une histoire incroyable, s’enthousiasme Greta Morton. Nous sommes en Australie-Occidentale, dans une petite communauté aborigène pas très drôle qui parle une langue, le martu, qui ne s’écrit pas. Le scénario n’existait donc pas sur papier : Curtis Taylor, qui appartient à cette communauté, avait tout dans sa tête. Il a travaillé dans une sorte d’improvisation linguistique avec les comédiens, dont Trevor Jamieson qui parle originellement le pitjantjara, qui s’en approche. Ce retour à l’oralité est fascinant !« 

4

Avec le quatrième court-métrage, The Greedy Emu, nous faisons un grand pas de côté, abandonnant toutes nos conventions cinématographiques pour entrer dans un mythe ancestral en langue kunuwinjku, qui se traduit sous la forme d’un récit naïf, voire saugrenu, joué par des autochtones non-comédiens. S’il est de notoriété mondiale que le kangourou est l’animal national d’Australie, plus rares sont ceux qui savent que l’émeu en est l’oiseau national, réputé pour sa grande capacité à manger. D’où vient-il ? The Greedy Emu raconte la création mythologique de cet oiseau, selon la tradition kunuwinjku.

« Je voulais absolument inclure ce film dans la sélection, car cela se déroule sur la terre d’Arnhem, loin de tout, au nord-est de l’Australie, explique Greta Morton. Ce sont des populations isolées, très traditionnelles, qui n’ont que très peu de contact avec des blancs. Ce film fait partie d’une série de courts-métrages qui mettent en scène les chants des pistes, qui sont des histoires de création de telle communauté, de telle montagne, de telle créature… C’est très lié aux totems, aux croyances, au spirituel.« 

5

Enfin, le programme se clôt avec Showing Melbourne to Maningrida, de et avec David Gulpilil, qui est une célébrité en Australie et dans le monde. Tourné en 1973, soit six ans après que les Aborigènes ont obtenu la citoyenneté australienne, ce documentaire en noir et blanc, qui n’est pas sans faire penser au cinéma direct d’un Richard Leacock ou d’un Jean Rouch, montre la découverte de la ville de Melbourne, avec son urbanisme tout en gigantisme moderne, par David Gulpilil, avant que ce dernier ne retourne à sa terre ancestrale et à un quotidien fait de pêche, de chasse et de danse. La première partie, sans parole audible, se fait sur fond de musique rock (par essence occidentale en ces temps-là), tandis que le retour au pays est synonyme de réappropriation de la parole – sans que, ce serait un choix de l’acteur-réalisateur, cela ne nous soit accessible ; nous nous retrouvons ainsi dans la même distanciation exotique, avec le même sentiment d’étrangeté que David Gulpilil lorsqu’il se heurte à la ville-monde.

« Il s’agit d’une archive très rare, car ce film n’a jamais été montré jusqu’il y a trois ans, au festival international de cinéma de Melbourne, indique Greta Morton. David Gulpilil est un immense acteur, et personne ne connaissait pourtant son tout premier film. C’est probablement le premier film jamais réalisé par un aborigène. Je ne connais pas de titre plus ancien que celui-là. C’est vraiment une œuvre étonnante, impressionnante. »

*

Ces cinq courts-métrages durent au total quatre-vingts minutes. Offrez-vous une bonne soirée de voyage en pleine terre aborigène, à la maison, entre le 28 novembre et le 7 décembre (les préventes ont lieu actuellement), pour un tarif unique de 7,50 € : BLACK AUSTRALIA

Pierre GELIN-MONASTIER

 

Black Australia

 



Photographie de Une – Trevor Jamieson dans Yulubidyi – Until the End