Graphiste de formation, Cécile Brousté poursuit depuis huit ans une activité intensive devant et derrière l’appareil, comme modèle et comme photographe. Avec l’arrêt de tous ses projets artistiques provoqué par la pandémie, l’artiste reconnaît « vivre au jour le jour », non sans difficultés ni sans espoir. Portrait.
Originaire de Rennes, où elle vit les vingt-quatre premières années de sa vie, Cécile Brousté commence une carrière de plasticienne et graphiste. En 1989, elle vit une épreuve terrible : son frère, architecte de formation et artiste par passion, meurt. « Ce fut le drame de ma vie ! » Au cœur de la souffrance naît sa résolution : elle sera artiste indépendante. À vingt-sept ans, elle s’inscrit à la Maison des Artistes.
« La photo m’a sauvé la vie »
Après quelque vingt-cinq ans à travailler comme plasticienne et surtout graphiste, Cécile Brousté décide de se consacrer davantage à la photographie en 2012-2013. « J’ai toujours fait de la photo, mais ce n’était jusqu’alors pas mon activité principale, confie l’artiste, aujourd’hui âgée de cinquante-sept ans. Elle m’a rattrapée, devenant tout à coup indispensable, surtout à une époque où la création graphique n’a plus autant de choses à dire. » Son arrivée à la photographie coïncide avec ses débuts comme modèle. « J’ai un physique un peu atypique, car je suis chauve depuis quelques années, ce qui suscite l’intérêt de certains photographes. »
Cette expérience douloureuse de la perte des cheveux est apaisée par la photographie. Cécile Brousté aime souvent à dire que la photo lui a « sauvé la vie » et rendu « la créativité ». « Je considère la photo comme une thérapie que je pratique pour mes modèles ou pour moi-même, après l’avoir découverte en tant que modèle à la suite de ma perte de cheveux. »
Si le graphisme lui assure encore aujourd’hui la plus grande partie de ses revenus, Cécile Brousté consacre dorénavant près de 70 % de son temps à la photographie. Elle a développé une clientèle qui va bien au-delà de la seule capitale, où elle vit aujourd’hui, puisqu’elle a notamment pour clientes la styliste Sylvie Vernier et Sandrine Faucou, agricultrice bio et présidente du syndicat du petit-épeautre, toutes deux installées dans les Alpes-de-Haute-Provence. Elle travaille par ailleurs en agence, « pour faire la petite main, car c’est un lieu où l’on peut gagner un peu d’argent ».
Mais le cœur battant de sa créativité est ailleurs. « En marge des collaborations professionnelles, j’organise des séances qui racontent des tranches de vie, qui peuvent être les miennes ou venant de différentes sources d’inspiration. » Elle réunit ainsi plusieurs personnes dans un lieu repéré minutieusement à l’avance, afin de donner à voir – par la photographie – une histoire. Un pur acte créatif ! L’an dernier, elle a ainsi réuni des personnes pour édifier un travail photographique à l’occasion des trente ans de la mort de son frère, en lien avec l’univers de Corto Maltese, de Hugo Pratt, qu’il affectionnait particulièrement.
La mise à l’arrêt de toute commande professionnelle
Avec la crise sanitaire et le confinement, ce sont autant d’activités qui sont à l’arrêt. La commande d’un reportage au Salon de l’agriculture devait lui apporter une rémunération conséquente pour le mois de mars. Hélas, il a fermé la veille de la venue de Cécile Brousté, après que le gouvernement a demandé l’annulation de tous les événements de plus de 5 000 personnes en milieu confiné. La photographe devait également suivre des musiciens pendant leurs tournées, mais celles-ci ont été pareillement annulées. « Nous sommes très nombreux dans cette situation, à avoir perdu, qui un concert, qui une manifestation, qui un reportage », reconnaît-elle. Les contrats sont définitivement perdus, sans argent à la clef.
Dans son malheur, la photographe reconnaît avoir « une chance incroyable » : elle réalise une grande partie de son chiffre d’affaires entre février et juillet. Or l’aide du fonds de solidarité accordée par le gouvernement en mars est au prorata du mois de l’année précédente – qui fut particulièrement bon, en ce qui la concerne. « C’est la première fois de ma vie que j’ai une aide, s’étonne-t-elle. Je rentre toujours dans le cadre de ceux qui ne sont pas aidés. »
Mais elle sait que l’optimisme risque d’être de courte durée. « On verra si j’ai encore quelque chose au mois d’avril, car le mois de mars 2019 n’est pas du tout représentatif de mon année entière », ajoute Cécile Brousté, d’autant que l’aide pour avril (et probablement pour mai) est dorénavant au prorata des recettes annuelles. L’artiste-autrice est heureusement propriétaire d’un petit studio qu’elle loue, ce qui lui permet de payer son loyer et de ne pas se retrouver à la rue.
Pour elle, le confinement n’est finalement qu’un révélateur d’un phénomène qui s’amplifie depuis plusieurs années : « J’ai souffert comme graphiste et photographe de ne pas être payée, même par des commanditaires publics. Plus la société avance et moins les artistes ont le droit d’être payés. Mais on leur demande quand même de fonctionner, de créer… »
« Si je ne crée pas, je ne peux pas être heureuse ! »
Plus grave encore que la question financière, il y a celle de sa création, aujourd’hui muselée, puisqu’il n’est plus possible de sortir, ni d’organiser des rassemblements, même modestes. « Le confinement a un effet terrible sur ma créativité. Je suis artiste, il faut que je travaille, que je conçoive, que j’aie des projets. Si je ne crée pas, je ne peux pas être heureuse ! »
Après un premier mois d’inactivité terrible, elle retrouve goût à travers des petits projets. Elle a récemment fait un shooting dans la cour d’un de ses modèles, habitant à proximité, sur le thème de l’enfermement. Il y a quelques jours, depuis son appartement parisien, elle a également servi de modèle, pour une série sur le confinement, au photographe Terry Tsiolis se trouvant à… New York ! Le déclenchement a eu lieu à Paris et le cadrage de l’autre côté de l’Atlantique.
« Depuis que j’ai eu ses deux projets, je me sens beaucoup mieux », confie-t-elle, non sans une pointe de soulagement. Ce regain d’activité était d’autant plus important pour elle que « c’est parti pour durer plusieurs mois, ce qui est très difficile, car j’ai passé l’hiver à préparer des projets qui me tiennent à cœur et que je ne peux plus mettre en scène désormais. Ce sont des mois et des mois de conception et de désirs qui sont aujourd’hui passés à la trappe. Il faudra attendre l’an prochain. Ma plus grande crainte est de ne plus pouvoir travailler dehors avant de longs mois, alors que, sans studio, le monde extérieur est mon lieu de travail. »
Cécile Brousté ne désespère pas pour autant, gardant l’espoir que de nouvelles opportunités surgiront pour elle et pour tous les professionnels de la photographie. « Avec la distanciation, il est possible que de nouvelles formes naissent et croissent dans le secteur de la photographie. » Elle cite comme exemple les grosses campagnes de mode, qui consistent à prendre des photos de modèles via les réseaux sociaux ou diverses applications telles que FaceTime, WhatsApp, Zoom, etc. « Des marques envoient des tenues, les modèles posent dans un cadre repéré en amont par le photographe et l’on prend la photo avec un pied… tout cela à distance ! » L’artiste est ainsi prête à répondre positivement à tout ce qui adviendra. « Je vis un peu comme un oiseau sur la branche : je ne dis jamais non à ce qui arrive. »
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Photographie de Une : Cécile Brousté
Crédits : Géraldine Alexéline