Cyril contre Goliath raconte l’histoire d’un homme « normal », Cyril Montana, qui voit le village de son enfance privatisé peu à peu par un seul homme, Pierre Cardin. Commence alors une lutte inégale, à la fois drôle et tragique, pour reconquérir l’espace public. Après une double parution en e-cinema et en salles l’an dernier, le film sort en DVD ce mardi 16 mars 2021.

Publié le 12 mai 2020, mis à jour le 16 mars 2021

Synopsis – Cyril, écrivain parisien, n’aurait jamais imaginé que Lacoste, le village de son enfance, puisse un jour être privatisé par le milliardaire Pierre Cardin. Alors que rien ne le destinait à cela et poussé par son fils, il décide de s’engager contre cette OPA d’un genre nouveau et entame un véritable bras de fer avec le célèbre couturier.

La lutte d’un homme honnête contre une situation ubuesque

Caricature du « bobo » qui défend de grandes idées sans s’engager le moins du monde, selon son fils Grégoire, l’écrivain et communicant Cyril Montana part soudain en guerre contre Pierre Cardin, qui a racheté et privatisé une partie du village de son enfance. Lacoste, c’est tout d’abord le lieu de sa croissance artistico-libertaire : le réalisateur Thomas Bornot et son comparse d’écriture, Cyril Montana lui-même, insistent particulièrement sur cette dimension, au détriment de beaucoup d’autres, plus ancestrales, du village provençal, comme pour montrer la fracture qui s’est opérée lorsque Pierre Cardin a confisqué l’espace public pour en faire son jardin, parfaitement privé et parfaitement inerte, avec son insupportable clique tout droit sortie de La grande belleza, chef-d’œuvre du réalisateur italien Paolo Sorrentino.

La démarche de notre héros apparaît d’emblée sympathique et honnête. Son cheminement, avec ses hésitations et ses échecs, est filmé de manière réaliste, sans cette déconstruction qui pollue quantité de productions artistiques contemporaines : s’il va de désillusion en désillusion, il ne ridiculise jamais son parcours, conférant à chaque moment vécu sa valeur, à tout son engagement une qualité intrinsèque. C’est pourquoi nous y croyons, nous nous identifions à lui, d’autant plus que le combat qu’il mène l’oppose à une situation caricaturale, absurde.

Elle est d’autant plus « ubuesque » qu’aujourd’hui, le touriste est le néo-colon des villages touristiques, a fortiori provençaux, que ce soit dans le Lubéron, le Plateau de Vaucluse ou encore les Alpilles. L’espace public est confisqué par une multitude d’ombres éphémères qui n’ont d’intérêt local que leur capacité à délier les cordons d’une bourse, avant que de quitter promptement les lieux. Dans le cas présent, un seul homme met la main sur le cœur du collectif, le centre-ville d’un village, pour lui-même, pour son seul plaisir, sa seule jouissance, conduisant les villageois à créer une forme de banlieue, éloignée d’un ou deux kilomètres, jusqu’à laisser complètement vide les rues où résonnaient auparavant les rires, les jeux, les querelles ou encore les cloches de l’église Saint-Trophime.

La cause de Cyril Montana emporte d’emblée notre adhésion, d’autant plus à la vue des odieuses archives extraites d’un reportage au titre non moins répugnant : « Lacoste un village en Pierre Cardin ». La force du documentaire est de garder un traitement léger et humoristique, soutenu et renforcé par la musique originale d’Éric Neveux.

Il est difficile, à voir le sujet et le traitement qui en est fait, de ne pas penser au documentaire de François Ruffin, Merci Patron !, récompensé du César du meilleur film documentaire en 2017. C’est formellement le même combat, celui d’un petit contre un puissant – « Les riches vivent au-dessus de nos moyens », indique malicieusement le sous-titre. Sauf que François Ruffin est un joueur d’échecs chevronné, qui combat avec des coups d’avance, tandis que Cyril Montana apprend les règles à mesure que la partie est engagée.

Un positionnement malheureusement trop autocentré

Une autre différence sépare les deux documentaires : le positionnement des deux protagonistes. Nous l’avons écrit, il y a un réalisme dans le cheminement de Cyril Montana, qui favorise l’identification, quand François Ruffin nous maintient dans une sorte de comédie dramatique – entre thriller et humour – extérieure à nous-mêmes.

Cette mise en situation a son revers, puisqu’il ne s’agit pas seulement de juger d’une cause, mais d’une œuvre : Cyril Montana se met au centre de tout le film, comme en miroir de Pierre Cardin qui s’est mis au centre de tout le village. C’est le combat d’un homme contre un autre homme, alors que la finalité recherchée est précisément de rendre le pouvoir aux villageois, au collectif, à la communauté.

Nous suivons une quête radicalement personnelle, qui ressemble davantage à celle d’un Don Quichotte – contre des moulins dont les pales ne se contentent pas de ventiler au loin les indésirables, mais broient encore ceux qui voudraient s’en approcher –, qu’à celle d’un David, dont la lutte est intimement liée à l’onction divine et à la défense d’un peuple.

Il y a un manque de cohérence entre la fin recherchée et la méthodologie adoptée. Les témoignages des villageois et les archives concordent : Pierre Cardin veut « apporter la culture », avoir « son propre festival »… Un décide pour tous. Dans un strict mimétisme, Cyril Montana réagit avec son carnet d’adresses, de Paris où il habite : toute la presse, c’est lui ; les plateaux télévisés, c’est lui ; le documentaire dans le village, c’est lui. Or face à la condescendance d’un seul, il aurait précisément fallu la réaction de tous, ainsi que nous y invitent toute la belle réflexion autour des droits culturels et les principes mêmes de l’économie sociale et solidaire. Il n’est dès lors pas étonnant que les villageois, laissés de côté, ne s’empressent pas à répondre à son appel. « Il n’est de bonheur que partagé », concluait déjà Into the Wild.

Cyril Montana a finalement ce côté du converti qui fonce tête baissée, tout feu tout flamme, mais qui a dans le même temps besoin d’être confirmé par un maître spirituel (ici, une philosophe) dans son engagement. Ce manque de maturité, touchant au demeurant, aurait appelé un pendant cinématographique moins narcissique. La sympathique scène finale (bien imaginée !) et la sortie même du film sont déjà des actes visant à inclure les témoignages, donc la parole collective. Nous aurions néanmoins apprécié que la rêverie enfantine de l’enthousiaste prosélyte conduise plus rapidement à la sortie de l’individualisme et à l’expression du commun.

Ce positionnement, pour problématique qu’il soit dans une œuvre documentaire (c’est-à-dire artistique), ne retire cependant rien à la profonde justesse de ce combat inique, à l’humour qui traverse constamment l’œuvre, au plaisir enfin que nous passons à suivre les aventures de cet homme honnête et bouillonnant.

Pierre GELIN-MONASTIER

avec Pauline Angot et Marie-Claude Gelin

 



Thomas Bornot, Cyril contre Goliath, France, 2019, 86mn

Genre : documentaire
Sortie cinéma :
9 septembre 2020
Sortie DVD : 16 mars 2021

Scénario : Thomas Bornot, Cyril Montana
Musique :
Éric Neveux
Image et son : Thomas Bornot, Arthur Frainet, Benjamin Géminel, Cyril Montana, Eva Verdier
Montage : Arthur Frainet, Yannick Kergoat, Thomas Bornot
Montage son et mixage : Rémi Berger
Étalonnage : David Bouhsira

Production : Logique Nouvelle (Yannick Kergoat)
Diffusion : JHR films

Voir le film en e-cinema : La Vingt-Cinquième Heure

 



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