Olivier Nakache et Éric Toledano adaptent une première série pour Arte : En Thérapie. Une vaste psychanalyse de la société après les attentats de 2005, à travers sept personnages.
La série sera diffusée les jeudis du 4 février au 25 mars à 20h55 sur Arte, et disponible en intégralité ce jeudi 28 janvier sur arte.tv
Synopsis – Paris, automne 2015. Philippe Dayan reçoit chaque semaine dans son cabinet à deux pas de la place de la République, une chirurgienne en plein désarroi amoureux, un couple en crise, une ado aux tendances suicidaires et un agent de la BRI traumatisé par son intervention au Bataclan. À l’écoute de ces vies bouleversées, le séisme émotionnel qui se déclenche en lui est sans précédent. Pour tenter d’y échapper, il renoue avec son ancienne analyste, Esther, avec qui il avait coupé les ponts depuis près de douze ans.
En Thérapie est une adaptation de la série israélienne BeTipul, créée par Hagai Levi, située dans le contexte français, et plus exactement parisien, de l’après attentats au Bataclan. Dirigée par le fameux duo formé par Éric Toledano et Olivier Nakache, cette série de trente-cinq épisodes de vingt-six minutes (environ) nous plonge dans une certaine société en état de choc.
Avec Frédéric Pierrot, Carole Bouquet, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Clémence Poésy, Pio Marmaï, Céleste Brunnquell et Elsa Lepoivre au menu, la série s’annonce comme une création forte de la chaîne Arte, pourtant peu habituée de ces formats, selon l’avis de son directeur Bruno Patino.
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Des cinq premiers épisodes proposés en avant-première, ce lundi 25 janvier, nous ressortons épuisés, vidés même, par cette violence qui s’exprime sans rémission et se niche autant dans les confidences des patients que dans les réponses souvent tranchantes que leur oppose le psychanalyste incarné remarquablement par Frédéric Pierrot. La densité des dialogues imprime à la fois un suspense et un tourbillon, de sorte que nous ne pouvons qu’être d’accord avec Olivier Nakache lorsqu’il explique que chaque épisode a été conçu comme un « round ». Les coups pleuvent, avec brutalité, sans poésie ni humour – l’on conçoit aisément l’absence de la première, mais l’humour aurait apporté une respiration bienvenue, au-delà de quelques répliques amusantes.
Cette violence ressentie tient notamment à l’emprisonnement auquel nous assistons. Les personnages sont pris dans des mécanismes intérieurs qu’ils refoulent et expriment à la fois, consciemment ou non, dans leurs gestes aussi bien que leurs paroles. En somme, ils sont emprisonnés – comme nous le sommes tous, cela va de soi. Mais les explications que donne le psy en retour, sous prétexte que chacun puisse trouver en lui-même sa réponse singulière, ne sont pas moins rigides et closes sur elles-mêmes, laissant peu la place au mystère de l’être humain. En ce sens, cette série est incontestablement de notre temps : tout est circonscrit au sein de la seule psychologie. Tout est psychologique, ce que vient souligner avec encore davantage d’acuité le cinquième épisode, qui fait passer – non sans de grosses ficelles un peu faciles – le psychanalyste de la toute-puissance stoïque et quasi objective à une subjectivité pétrie d’erreurs grossières et de petites querelles mesquines.
Or face aux attentats, face à nos pulsions destructrices et – surtout – face à la mort elle-même, qui est le point d’incandescence de notre finitude, la psychanalyse ne saurait être l’ultime voie de vérité. Elle a ceci d’intéressant en ce qu’elle consiste à percevoir nos mécanismes, c’est-à-dire à dégager des obstacles qui obstruent notre horizon ; ce n’est pas pour autant qu’elle creuse un sillon vers ce même horizon. Le discours du psychanalyste (qu’on entend par endroits dans la série) consistant à dire que la réponse se trouve en soi-même tombe alors ; il ne saurait y avoir de pleine vérité qui soit dans le même temps autosuffisante, c’est-à-dire sans relation, sans altérité, sans ce mystère qui unit les êtres – au moins deux – entre eux. C’est bien toute la difficulté et la grandeur de l’être humain, qu’on le qualifie d’animal politique, social, spirituel… en un mot : relationnel.
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La série est ainsi structurée : quatre épisodes durant lequel Philippe Dayan reçoit ses patients et un cinquième dans lequel lui-même est reçu par son ancienne thérapeute. Si Carole Bouquet a parfois un jeu trop affecté, alors même que son visage semble imperméable à toute émotion, le reste de la distribution réalise un sans-faute, la jeune Céleste Brunnquell – découverte dans Les Éblouis – apportant même une agréable touche de fraîcheur et de spontanéité enfantine.
Cette série pose la question du lieu du spectateur. À quel endroit veulent-ils nous mettre ? Qu’est-ce que ça réveille en nous ? Quel est notre intérêt à nous trouver dans l’intimité de la psychanalyse, à assister à ce déballage ? Probablement que chacun répondrait différemment à ces questions, fondamentales dans la décision de poursuivre ou non la série. Pris dans la succession instantanée des épisodes, selon le principe bien connu du visionnage boulimique, En Thérapie se regarde en effet facilement, car les adaptateurs français ont su instiller un véritable suspense au sein de ces mini huis-clos successifs. Mais sitôt le premier recul pris, la question de poursuivre la série se pose…
L’interrogation pourrait finalement être ainsi formulée : si la claustration psychologique des personnages, donc des spectateurs, conduit à une saturation, la réponse sera négative ; si cette claustration conduit à une jouissance, quelle que soit sa forme, alors le spectateur ne s’en privera pas. J’ai fait mon choix.
Crédits photographiques : Carole Bethuel