Les Rencontres de la Photographie d’Arles vont jusqu’à fin septembre ! Le temps de découvrir des lieux et des structures uniques au service des artistes émergents.
Dans les rues sombres et fraîches de la vieille ville d’Arles, on tombe à l’arrière de la place de l’hôtel de ville sur la Fondation Manuel-Rivera-Ortiz. C’est un bel hôtel particulier de trois étages, tout en pierre, avec un superbe escalier monumental. Crée par le photographe portoricain Manuel Rivera-Ortiz en 2010, cette fondation dont le siège est à New York est très vite devenue “a place to be” alternatif des Rencontres de la Photographie dont elle est membre associé. Elle a pour mission de donner un coup de pouce à la photographie et au film documentaire, un défi courageux dans un milieu artistique où le conceptuel domine… Autre spécificité, elle est consacrée à la photographie émergente, celle des jeunes artistes !
Cette année, elle accueille la plate-forme FotoHaus au premier étage. Ce sont six expositions, trois individuelles, trois collectives, pour une trentaine de photographes, autant de Français que d’Allemands ! On s’étonne… « Les approches sont différentes, explique Christel Boget, l’animatrice et la commissaire d’exposition de ce concept franco-allemand novateur. Autant la photo allemande est souvent brute, directe, frontale, autant chez les Français, l’approche est plus distanciée : le réel y est subjectif, comme suggéré. » On découvre ainsi, sur cet étage, les portraits noirs et blancs très directs de la photojournaliste berlinoise Anno Wilms et les paysages urbains, très habités, de sa jeune collègue, également berlinoise, Barbara Wolff.
Un concept d’exposition avec une force et une identité propres
FotoHaus est une structure associative à part, le bras « expositif » du collectif ParisBerlin>fotogroup créé il y a déjà vingt ans. Depuis 2015, cette plate-forme s’est affranchie de ses origines et organise des expositions avec d’autres associations de photographes, des collectionneurs, des écoles, des éditeurs. C’est ainsi qu’on trouve à cet étage un photographe roumain, une Italienne et le jeune Philip Montgomery avec ses tableaux d’une Amérique entre révolte et chagrin… Si FotoHaus « fait » désormais Arles comme d’autres « font » Avignon et Cannes, c’est qu’elle a acquis une force et une identité propres. Elle fédère en effet chaque année ses partenaires autour d’un thème : la tradition, le jardin, le jeu, les femmes, le mur.
Cet été, elle proposait de développer la thématique de ‘‘La Persona’’, qui est autant le masque de la Grèce antique que celui du carnaval « biarnès », célèbre dans la ville de Pau, sans oublier le maquillage « queer » et ce qui reste de nous, en temps de pandémie, quand enfin tombent les masques… La petite terrasse en plein air du premier étage est consacrée à ce moment aussi pathétique qu’héroïque de notre histoire récente, avec l’exposition “Sauver Les Corps” proposée par ParisBerlin>fotogroup et le collectif LesAssociés. Un sujet sur lequel tout, malheureusement, semble avoir été dit…
C’est la salle voisine “D’ici, ça ne paraît pas si loin” qui attire notre regard … Ici, la proposition est plus ambitieuse ! Qu’on en juge. En 2013, cinq photographes sortis de la même école parisienne s’installent à Bordeaux, à l’extrémité de la nouvelle ligne de TGV. Un seul est de cette métropole et Bordeaux n’étant pas Paris, ils cherchent une dynamique qui leur permettra d’être « vivants » comme l’explique Joël Peyrou, membre de ce collectif nommé LesAssociés. La réforme qui crée la région Nouvelle-Aquitaine leur donne une occasion en or, avec un territoire devenu un vrai mille-feuille et qui leur pose plusieurs questions : « Comment être d’ici ? », « Comment être d’une région ? », « Est-ce la carte qui fait le territoire ? »… C’est là que naît le projet documentaire protéiforme “D’ici, ça ne paraît pas si loin”, qui va les embarquer pendant plusieurs années.
Exploration de la plus grande région française
En quatre étés, printemps, automnes et hivers, ils parcourent la plus grande région de France et construisent un travail documentaire minutieux autour de trois directions : l’espace, le temps et le récit. L’espace, ce sont les 1 900 kilomètres de frontières qu’ils ont systématiquement parcourus, tout ce qui délimite la carte de la région. « Chacun travaillait de son côté, avec son regard, mais de kilomètres en kilomètres, on se passait le relais », raconte Joël Peyrou. Le temps, ce sont les deux heures de TGV de la ligne Paris-Bordeaux reportées sur la carte régionale. Où peut-on aller en deux heures de temps en Nouvelle-Aquitaine ? On va par exemple à La Coquille, une bourgade du Périgord située sur l’une des routes de Saint-Jacques-de-Compostelle…
Cette fois, LesAssociés travaillent en résidence, en se focalisant sur l’habitat, le travail, l’immigration et la jeunesse. Peu importe qui fait quoi ; toutes leurs œuvres sont mises en commun, l’une entrant en collision avec l’autre, et la troisième se nourrissant des deux premières : une osmose, un écosystème. LesAssociés ne sont pas, disent-ils, « un collectif de tendances » : ils n’empilent pas les regards. Ils les brassent ! Leurs films et leurs enregistrements sonores sont montrés au sous-sol… À l’étage, cela donne un immense portrait en pied, les images floues d’une forêt sombre et mystérieuse, le visage noirci d’un berger vêtu de peaux de bête, l’écorce sensuelle d’un arbre saisi en noir et blanc où se dessine une figure. C’est déjà le temps du récit et un début de réponse : le territoire ne serait-il pas plutôt l’appartenance aux milieux naturels, le littoral, le massif, le fleuve, les marais, la forêt et ce « vivre-ensemble », cette histoire qu’on s’était racontée sur le lieu ?
Plusieurs salles, sans doute, auraient été nécessaires pour rendre compte de façon exhaustive de leur énorme ambition. Car parfois, à trop accumuler les concepts, LesAssociés fatiguent et noient le visiteur. Leur démarche n’est pas toujours claire et le résultat peut paraître décevant… Qui trop embrasse mal étreint ? Qu’importe ! Si on reste sur sa faim, il reste leur très beau livre en vente à L’Ascenseur Végétal à Bordeaux ou à la librairie de la fondation. Et puis Les Associés cherchent ! Ils prennent des risques. Ils s’aventurent. S’ils sont un peu voyous, au moins nous racontent-ils des histoires, en sons, en verbatim, en vidéos et en véritables images documentaires qui se déploient comme autant de facettes d’une seule et même aventure artistique et humaine.
Fondation Manuel Rivera-Ortiz
18, rue de la Calade, 13 000 Arles
tous les jours I 10h à 19h
L’exposition I D’ici, ça ne paraît pas si loin – Jusqu’au 26 septembre 2021
LesAssociés I photographes : Alexandre Dupeyron, Élie Monférier, Olivier Panier des Touches, Joël Peyrou, Sébastien Sindeu
.
Bande annonce et photographies : D’ici ça ne parait pas si loin I ©LesAssociés

©LesAssociés

©LesAssociés