Jeune photographe de 21 ans, Gautier Van Lieshout est frappé de plein fouet par le confinement, comme tous ses pairs. Mais il subit une double peine : outre l’arrêt total de ses activités, le jeune entrant dans la profession ne peut justifier de revenus suffisants pour bénéficier des aides. Portrait.
Né à Mons d’un père belgo-allemand et d’une mère franco-italienne, Gautier Van Lieshout quitte la Wallonie pour la France, et plus précisément Suresnes, à l’âge de trois ans. Comédien entre sept et dix-sept ans, autant pour le cinéma que pour la télévision et la publicité, si bien qu’il pense naturellement à en faire son métier, Gautier Van Lieshout découvre la photographie par hasard. À la suite d’un accident, alors qu’il est au lycée, il achète un appareil photo « sur un coup de tête ».
Le temps de l’apprentissage
Très rapidement, il sent que ce medium lui permet d’exprimer quelque chose de nouveau, voire d’impératif. À dix-sept ans, il choisit d’en faire son métier. « La décision fut prise du jour au lendemain. J’ai appelé mon agent de cinéma, avec lequel je travaillais depuis dix ans, et je lui ai dit que j’arrêtais tout pour me consacrer uniquement à la photographie. »
Le jeune homme ne manque pas d’ambition et commence déjà à préparer sa première exposition, “Le temps des femmes”, qui lui demande un an de travail et qu’il présente en 2017 dans l’hôtel Marriott, avenue de Wagram : quarante tirages (120 x 80) sont exposés par le photographe, encore lycéen, alors âgé de dix-huit ans.
Redoutant le formatage des écoles de photographie, Gautier Van Lieshout préfère entamer une double licence cinéma et théâtre à l’université de Nanterre, qu’il achève l’an dernier. « Cela m’a permis d’avoir un diplôme et de me dégager du système scolaire pour être un peu plus libre », reconnaît-il. En parallèle, il travaille pendant un an et demi comme photographe de mode pour des revues, notamment Vogue Italie, ce qui lui permet de faire connaître son travail auprès d’un plus large public. « Je n’ai rien gagné financièrement, précise-t-il, mais j’ai acquis de la crédibilité lorsque je m’adressais à des gens du secteur, car à dix-huit ou dix-neuf ans, il est bien difficile d’être pris au sérieux. »
Un projet à l’arrêt, des collaborations avortées
En 2019, il s’éloigne de la mode pour initier un travail plus personnel, une série de portraits centrés sur les visages et les mains, qu’il intitule « New Humans » et auquel participent différentes personnalités telles que Jean-Claude Dreyfus, Dominique Pinon, Michel Fau ou encore Jean-Luc Moreau. L’enjeu, outre les expositions, est d’en faire un livre, mais ce projet a brutalement été arrêté par la crise sanitaire. « J’ai fait mon dernier portrait juste avant le confinement, mais aujourd’hui, tout est à l’arrêt, confirme le photographe. Je continue de contacter des gens du cinéma et du théâtre, mais avec les événements actuels, il est difficile de prévoir quoi que ce soit. » Heureusement pour Gautier Van Lieshout, ce projet, qui n’a pas d’échéance dans le temps, n’est lié à aucun impératif immédiat.
Plus difficile est l’arrêt de toutes les collaborations qui lui permettaient jusqu’à présent de vivre : il travaille notamment au Studio Harcourt et comme assistant plateau pour plusieurs photographes.
Lorsqu’on est un jeune photographe, le plus important est la mise en place d’un réseau propre, afin de favoriser de nouvelles commandes. Depuis six mois, il se rapproche du milieu de la santé, qui l’intéresse beaucoup, pour des projets publicitaires. « J’ai récemment fait un beau projet, un livre sur un sujet grave, confie-t-il. Je devais me déplacer deux ou trois fois en province, pour le présenter et le signer. » Si l’événement physique est annulé, il aura néanmoins bien lieu sur Skype. « Mais pour moi, c’est une grosse perte, puisque je devais rencontrer des dirigeants et toutes les personnes du pôle communication, ce qui m’aurait ouvert de nouveaux réseaux. C’est une perte sèche de business ! »
Des aides inappropriées aux jeunes entrants
« L’impact du coronavirus est terrible, insiste-t-il. J’ai terminé les projets en cours les deux premières semaines du confinement, et comme j’avais quelques rémunérations qui devaient tomber, j’ai pu m’en sortir au mois de mars. Mais en avril, ce fut un zéro pointé, et je m’inquiète énormément pour le mois de mai. Car si le gouvernement ne cesse de parler du déconfinement en cours, il faut se rendre compte que je n’ai aucun contrat ce mois-ci. Je n’ai même aucune visibilité jusqu’à juillet. Je n’ai rien, mon calendrier est totalement vide ! »
Si les photographes ont pu solliciter en avril le fonds de solidarité mis en place par le gouvernement, au prorata des recettes annuelles, cette aide ne correspond cependant pas à la situation d’un nouvel entrant tel que Gautier Van Lieshout, qui n’a pas encore les réseaux suffisants pour afficher un chiffre d’affaires conséquent. « On a bien peu de travail rémunéré la première année, reconnaît-t-il. Mes chiffres de l’an dernier sont donc assez bas. Or j’ai gagné durant les trois premiers mois de 2020 bien plus que mon chiffre d’affaires total de 2019 ! Mais je ne peux pas justifier les pertes que je subis actuellement, puisque la référence est le chiffre de l’an dernier. »
Les sommes gagnées au début de l’année, loin d’être thésaurisées, ont naturellement été réinvesties dans l’achat de matériel, comme le font la grande majorité des jeunes photographes. « Je suis dans une situation délicate, qu’une administration française ne sait pas gérer, soupire Gautier Van Lieshout. Vu la crise et les milliards délivrés par le gouvernement, je peine à comprendre qu’on doive tout justifier en tant que micro-entrepreneur. C’est le statut qui bénéficie le moins des aides en France : nous n’avons pas de retraite, pas de chômage, nous ne sommes assurés de rien… La situation est suffisamment critique pour simplifier la démarche en signant sur l’honneur une déclaration comme quoi on n’a rien gagné ce mois-ci, afin de recevoir les 1500 euros. »
Le monde d’après… mais quel après ?
Tous les projets et interventions ont été annulés, même les commandes lointaines. « J’essaie tant bien que mal de préparer le déconfinement », assure-t-il. Comment ? En téléphonant un peu partout pour relancer des projets et des collaborations. Mais il rencontre chaque fois au pire une opposition, au mieux une réponse vague. « Mon travail reprendra probablement, pour commencer, avec de petits boulots en tant qu’assistant. »
La question des ‘‘shootings’’ est au cœur de ses questionnements. Il cite l’exemple de la Suisse, où l’une de ses modèles a repris le travail dès la fin du mois de mars, en respectant scrupuleusement les gestes barrières. « Moi, quand je fais un shooting, nous sommes dix dans un studio parisien, certes grand, mais pas suffisamment pour préserver la fameuse distance d’un mètre, indique Gautier Van Lieshout. C’est même absurde, puisque je travaille avec des maquilleuses et des coiffeuses qui sont en contact direct avec les modèles ! Un shooting de mode, par exemple, c’est l’équivalent d’un petit tournage. »
Le photographe soulève un autre point, anodin en apparence, important dans les faits. Parmi les dix personnes présentes, il y a souvent le client. « Dans la publicité, il faut toujours partir du principe que le client a sa vision propre. C’est pourquoi nous préférons l’avoir avec nous lors du shooting, afin qu’il voie notre travail et confirme que cela correspond à ses attentes, explique Gautier Van Lieshout. C’est notre réputation qui est en jeu. » Avec le coronavirus et les restrictions sanitaires, la plupart des clients ne se déplaceront probablement plus, ce qui ajoute un surcroît de risque pour le photographe. « Comment nos dirigeants peuvent-ils savoir cela, s’ils sont incapables de prendre en compte les spécificités de chaque profession ? »
La prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet 2020 et l’arrivée des vacances d’été lui font ainsi craindre une reprise régulière de son travail sinon en septembre, du moins à l’automne. « Si l’on excepte les photographes de paysages et de natures mortes, nous ne vivons et n’existons que grâce aux autres. Plus de la moitié de notre travail consiste dans ce contact avec les gens. Notre profession ne peut pas tenir en l’état actuel ! »
Et Gautier Van Lieshout de conclure : « Soit il y a des aides financières qui nous permettent de nous bloquer pendant six mois s’ils le veulent ; soit il n’y a pas d’aides, et nous serons bien obligés de travailler dans des conditions qui ne seront pas optimales, même si nous prendrons évidemment toutes les précautions sanitaires possibles. »
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Photographie de Une : Gautier Van Lieshout (DR)