Quand l’algorithme corrige le rythme…  Un logiciel informatique d’écriture se propose d’aider les écrivains et les scénaristes à améliorer leurs personnages, analyser les émotions, perfectionner la syntaxe ou encore la structure du récit.

Auteur de romans policiers, dont Les Nettoyeurs (Fayard, 2013) ou encore Têtes de dragon (Albin Michel, 2016), David Defendi a collaboré avec Olivier Marchal en tant que scénariste pour la série de Canal+Braquo, et pour des formats de fictions historiques, avant de créer le logiciel Genario, un nouvel outil informatique d’écriture.

En quoi ce logiciel est-il innovant ? Quelles perspectives offre-t-il aux romanciers et aux scénaristes ? Rencontre avec son créateur, dont l’entreprise est basée à Dijon.

Genèse de Genario

« Je menais une carrière normale, jusqu’au jour où je me suis cassé le coude et ne pouvais plus écrire, raconte David Defendi. Je me suis dit qu’on avait de vieux outils pour écrire et me suis rapproché des scientifiques en me disant : “on va essayer de créer un outil moderne pour les écrivains”. »

C’est en rencontrant l’ingénieur Louis Manhès, devenu entre-temps son associé, qu’ils créent ensemble le logiciel Genario, il y a deux ans. Cet outil d’intelligence artificielle conçu pour les écrivains est également utilisé par les scénaristes et les enseignants. Développé gratuitement en français, en anglais et bientôt en espagnol, il sera dans les prochains mois décliné dans une version spécifique pour les scénaristes ; certaines de ses fonctionnalités deviendront alors payantes.

300 000 mots analysés par minute

Genario se présente comme une bibliothèque de 2 500 romans numérisés : « Ce sont les grands classiques, d’Homère à Virginie Despentes, détaille David Defendi. On va en intégrer de plus en plus, en essayant de prendre autant d’hommes que de femmes de la littérature mondiale. On a voulu travailler sur la qualité des textes, car l’intelligence artificielle est comme un enfant : il faut l’entraîner ; vous lui apprenez à utiliser Balzac, Maupassant ; vous lui expliquez que les émotions de tel ou tel personnage, c’est de la colère ou de la joie, puis elle auto-apprend et peut reconnaître ce qui relève des sentiments. »

Genario peut analyser jusqu’à 300 000 mots par minute : « Il y a quelques outils qui proposent la même chose, mais pas de manière aussi poussée ; pour les romans, ils corrigent par exemple la grammaire ou l’orthographe, mais nous nous sommes concentrés sur les personnages et l’analyse de leurs émotions, les sentiments. C’est ce qui fait un bon roman, s’il procure de l’émotion. On est les seuls à proposer ça. »

L’outil en question permet donc d’enrichir son vocabulaire, comme le permettrait un dictionnaire de synonymes, en proposant par ailleurs des extraits de livres qui traitent des mêmes thématiques que celles abordées par l’usager dans son texte. Il suffit de faire un copier-coller dans le logiciel, du moment que le texte compte au minimum 3 000 caractères et surtout un récit, car cela ne fonctionne pas avec un poème rimbaldien, forme poétique résistante et encore hermétique à l’intelligence artificielle. Le logiciel propose ensuite différentes possibilités d’améliorations syntaxiques, analysant la variété des émotions dépeintes, mais aussi le rythme des phrases et la structure du récit.

Une banque d’intrigues…

Cet outil offre un gain de temps considérable : « J’ai fait une série historique pour Arte… Aller chercher des informations sur les personnages, c’était très long, explique David Defendi. Si vous devez écrire sur la guerre de Trente Ans, plutôt que de prendre le temps de lire un bouquin de 700 pages, on peut utiliser cet outil pour l’analyser plus rapidement. »

Il permet en outre à un auteur d’affiner son sens de l’intrigue. Romanciers et scénaristes peuvent en effet venir y puiser les structures archétypales de leurs récits. « Comprendre une intrigue et comment les autres ont fait, de Shakespeare à Balzac ou Dostoïevski, c’est très important, car toutes les intrigues nouvelles des séries Netflix ou des derniers romans reprennent des intrigues anciennes, insiste-t-il. Avoir un outil qui permet de creuser l’intrigue primaire qui existe déjà chez les anciens permet donc d’aller un peu plus vite, car on n’a pas d’école de romanciers ; on est seul face à son travail, c’est un métier très difficile. »

Cet enrichissement de la langue est à relativiser, dans la mesure où l’intelligence artificielle évolue dans une sélection de livres qui est par définition arbitraire ; un appauvrissement de celle-ci peut être ainsi redoutée, dans la mesure où ces livres, pour être numérisés et analysés, sont au préalable délestés de leur paratexte. « On nettoie les bouquins, on retire les notes de bas de page et la table des matières que l’intelligence artificielle ne peut pas lire correctement. »

… et une librairie de scénarios à venir

Outre ces limites, c’est aussi le degré d’authenticité de l’écrivain qui est en jeu. Mais David Defendi se veut optimiste, rappelant qu’à chaque invention liée à l’art ou à l’écriture, la technologie a fait débat. « Socrate et Platon regrettaient l’invention de l’écriture, redoutant la fin de la tradition orale et une incapacité à mémoriser. Le clergé regrettait l’invention de l’imprimerie, parce qu’on allait pouvoir diffuser les savoirs à tout le monde. Je ne vois pas pourquoi l’ordinateur serait plus malsain que la machine à écrire. Les algorithmes sont à notre service, ils ne vont pas remplacer l’homme… Ils en sont très loin ! »

Pour lui, c’est surtout un moyen d’aider les écrivains à se renouveler. Son objectif est de favoriser la création d’une communauté de personnes qui travaillent ensemble. « On propose des ateliers d’écriture lors desquels l’écrivaine Marie Vindy intervient pour aider les auteurs, annonce-t-il. Les scénaristes peuvent dès maintenant mettre un synopsis dans le logiciel pour l’analyser, mais on fera une mise en page spéciale pour les scénarios qui sont un peu différents des romans. Nous préparons enfin une librairie de scénarios à laquelle vous pourrez accéder librement. »

Connaissant un succès grandissant dans les pays anglo-saxons, cet outil informatique d’intelligence artificielle conçu pour accompagner les auteurs dans leur travail d’écriture intéresse de plus en plus les maisons d’édition, mais aussi les professionnels de l’audiovisuel, selon David Defendi. Ce dernier évoque en parallèle le soutien des producteurs de cinéma et des personnalités de la vie culturelle, comme Éric Garandeau, ancien président du Centre national du cinéma et de l’image animée, qui a rejoint l’équipe de Genario.

Morgane MACÉ

Correspondante Bourgogne-Franche-Comté

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Photographie à la Une : © Morgane Macé / Profession Spectacle