Il y a 20 ans aujourd’hui que le réalisateur franco-arménien Henri Verneuil est mort : Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol, La Vache et le Prisonnier ou encore Le Clan des Siciliens… Nombre de ses films font partie du patrimoine français commun. Hommage au Morfalou du 7e art.

Débarqué avec sa famille à Marseille à l’âge de quatre ans pour fuir le génocide arménien, l’histoire de Henri Verneuil, né Achod Malakian, est le témoin d’un destin exceptionnel : petit enfant illettré ne parlant pas un mot de français, il est devenu l’un des réalisateurs les plus populaires du XXe siècle, avec une quarantaine de films en cinquante ans de carrière ininterrompue.

S’il a été longtemps méprisé par la critique, notamment par la Nouvelle Vague qui qualifiait, comme à son habitude, son œuvre de « cinéma de papa », Henri Verneuil est l’un des rares réalisateurs français à tourner des films à succès aux États-Unis, en s’entourant des meilleurs acteurs de cette époque.

Retour sur la vie et la carrière de Henri Verneuil (1920-2002), en cinq petites anecdotes cinématographiques.

1/ Fernandel, la rencontre déterminante

En 1947, le jeune Henri Verneuil tourne un premier film, un court-métrage documentaire sur la ville de Marseille, Escale au soleil. Totalement inconnu, il parvient néanmoins à convaincre Fernandel d’en faire la voix-off. De cette rencontre et première collaboration naît une longue amitié.

C’est d’ailleurs Fernandel, quatre ans plus tard, qui offre à Verneuil l’opportunité de réaliser son premier long-métrage, puisqu’il l’impose comme metteur en scène dans le drame La Table-aux-crevés. « Si ce n’est pas le jeune Verneuil, je ne fais pas le film », affirme-t-il.

Ils tournent ensemble, par la suite, huit films en sept ans, jusqu’à leur ultime collaboration, largement la plus fructueuse : La Vache et le Prisonnier, en 1959, offre à Henri Verneuil une renommée mondiale.

Néanmoins, si Henri Verneuil doit beaucoup à l’acteur, c’est avec lucidité qu’il admet plus tard que Fernandel était un homme humainement « odieux », et qu’il aurait largement préféré tourner La Vache et le Prisonnier avec Bourvil dans le rôle principal.

2/ Des gens sans importance, petit rescapé de la critique cinéphile  

En 1956, Henri Verneuil séduit un autre immense comédien : Jean Gabin, lequel le prévient ironiquement qu’il accepte d’être filmé de dos – contrairement aux caprices de Fernandel qui exige d’être uniquement filmé de face, et en gros plan si possible.

Leur première collaboration, Des gens sans importance, est considéré par les cinéphiles comme son meilleur film. C’est en effet la seule œuvre de Henri Verneuil qui ne reçoit pas les foudres de la Nouvelle Vague, François Truffaut allant même jusqu’à écrire une critique positive sur le film : « Le plus grand mérite de ce film est sa sincérité, peut-on lire dans Les Cahiers du Cinéma. On ne peut parler de révélation mais Henri Verneuil ne nous a pas habitué à cette conscience, à cette espèce d’objectivité dans la peinture d’un milieu qui devient par moment un univers (et cela aussi est extrêmement rare dans le cinéma français actuel). »

Des gens sans importance est aussi l’un des premiers films à traiter avec courage le sujet encore totalement tabou de l’avortement, presque vingt ans avant la loi Veil.

3/ Un singe en hiver, le choix Belmondo

Henri Verneuil devenu un cinéaste incontournable, la firme hollywoodienne MGM lui commande trois films, avec Gabin en rôle principal et Michel Audiard en dialoguiste. En résultent trois succès supplémentaires : Le Président(1961), Un singe en hiver (1962) et Mélodie en sous-sol (1963).

Dans Un singe en hiver, pour contrebalancer le rôle de Gabin, icône de la « vieille France » tant critiquée par les jeunes réalisateurs montants, Verneuil choisit le jeune premier de la Nouvelle Vague, révélé par Jean-Luc Godard dans À Bout de souffle : Jean-Paul Belmondo.

Si Verneuil peine à produire son film, se confrontant à la censure qui ne voit dans le film qu’une « vaste apologie de l’alcool », le film est un immense succès commercial. Le duo intergénérationnel fonctionne parfaitement à l’écran, comme dans la vie.

Si l’on regrette que le duo Gabin/Belmondo n’ait jamais été réuni à nouveau à l’écran, Henri Verneuil, toujours très fidèle à ses comédiens, retrouve Jean-Paul Belmondo à six reprises par la suite.

4/ Mélodie en sous-sol, Alain Delon s’impose

Un an après Un singe en hiver, Verneuil tourne un autre grand succès international : le film de casse Mélodie en sous-sol réunit cette fois Jean Gabin et Alain Delon. Mais le choix de ce dernier n’est pas une évidence.

La MGM considère en effet que Jean Gabin suffit comme tête d’affiche et qu’il est par conséquent inutile de donner le rôle à une autre star montante. Leur premier choix de casting se porte sur Jean-Louis Trintignant. Mais Alain Delon, jaloux du succès de Jean-Paul Belmondo qui conserve la préférence du public, insiste auprès de la production pour obtenir le rôle, allant jusqu’à renoncer à son cachet en échange de droits sur la distribution du film à l’international. La production accepte.

Si l’entente entre Gabin et Delon est totale, ce n’est pas le cas entre Verneuil et Delon : leurs tensions fréquentes sur le plateau obligent l’assistant-réalisateur, Claude Pinoteau, à servir régulièrement d’intermédiaire entre les deux hommes.

5/ Le Clan des Siciliens, entre ego et humilité

En 1969, Henri Verneuil clôture cette décennie très prolifique par l’une de ses œuvres majeures : Le Clan des Siciliens. Il réunit à l’écran trois acteurs qu’il connaît déjà bien : Jean Gabin, Lino Ventura et Alain Delon, et fait appel à Ennio Morricone pour signer la désormais célèbre musique originale.

Produit par la Fox, le film bénéficie d’un très large budget, ce qui permet à Henri Verneuil de tourner des scènes d’action très ambitieuses, assez rares dans le cinéma français de l’époque, comme la séquence de l’atterrissage d’un DC-8 sur une autoroute.

Au-delà de son immense succès en salle, Le Clan des Siciliens illustre bien la grande capacité de Henri Verneuil à diriger des acteurs en ménageant leurs égos. Les réputations d’intransigeance et d’exigence des trois acteurs, tout autant que leur poids dans le cinéma, laissent alors à penser à la presse que le tournage va se faire sous pression. Mais Henri Verneuil sait se mettre au service de ses comédiens et, à l’instar de sa relation avec Fernandel, sait s’effacer quand il le faut, en tirant ce qu’il veut de ses acteurs, sans les froisser.

Cette grande humilité provient sans aucun doute de ses origines modestes, lui qui a toujours souffert d’un fort racisme ambiant – malgré leurs nombreuses collaborations, Jean Gabin l’appelait toujours « l’Arménien » – et d’une grande solitude, liée au mépris de son œuvre par la critique intellectuelle.

Maïlys GELIN

 

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