Premier film de Frédéric Carpentier pour le cinéma, Jeunesse sauvage nous offre une intéressante incursion dans le monde des voleurs mais pèche par une sur-affectation émotionnelle, provoquée par une écriture inaboutie. Le film sort aujourd’hui dans les salles, en cette première semaine de réouverture de nos cinémas.
Synopsis – Raphaël, le chef d’une bande de jeunes voleurs de rues, voit son autorité menacée par Kevin, son fidèle lieutenant. Pour garder le pouvoir, il doit affronter la trahison et un univers de plus en plus violent, où les armes remplacent les poings. Dans le même temps, orphelin de mère, il tente de sortir son père de la misère où il s’est enlisé.
Misère sociale et précarité relationnelle
Des ateliers de réalisation qu’il anime dans les cités et quartiers difficiles, Frédéric Carpentier recueille des « moments privilégiés » qui constituent peu à peu la matière d’un film, son premier-long métrage pour le cinéma : Jeunesse sauvage.
Au commencement était la misère sociale, celle d’un jeune homme dont la mère est morte et le père, atteint de paranoïa, devenu incapable de vivre dans la société des hommes. Invisible socialement mais doté d’une grande sagacité sur les êtres qui l’entourent, Raphaël transforme son handicap communautaire en force d’action : l’observation et la discrétion sont des qualités fondamentales pour un voleur.
Avec l’aide de son ami d’enfance Kevin (Darren Muselet), il forme et prend la tête d’une bande de jeunes voleurs qui le respectent et suivent ses instructions. Mais dans un monde de brigands, l’ambitieux est souvent roi. Tandis que Raphaël sait intelligemment poser des limites, Kevin voit plus grand. La misère sociale se double ici d’une précarité relationnelle : l’escroquerie collective exige une confiance absolue les uns envers les autres ; la moindre fissure dans la carapace commune entraîne la trahison, la suspicion, le rejet ou la mort.
Une surenchère discursive
Par sa double intrigue, familiale et communautaire, Jeunesse sauvage contient les éléments propres à fonder une œuvre cinématographique. Pablo Pico, avec sa gueule d’ange et son regard azuréen, à l’image de la mer qui lèche les côtes de la ville de Sète où se déroule l’intrigue, est un héros tout à fait crédible, à condition de ne pas forcer son trait.
Telle est précisément la grande maladresse de ce film : l’affectation excessive des personnages, notamment de Raphaël et de Kévin. Le réalisateur semble exiger de son acteur principal une démesure poussive, de peur que le spectateur ne comprenne pas combien son héros a la rage. Tout y est décrit, expliqué, agrandi, exagéré jusqu’à l’outrance. Puisqu’il faut que nous ressentions la tension, celle-ci doit être vue, entendue, touchée, comprise.
C’est d’autant plus dommage que certains passages n’exigeaient aucun palabre, telle cette scène de tendresse entre Raphaël et Émilie, interprétée par la jeune comédienne belge, Léone François. Pourquoi préciser verbalement que le jeune homme n’a jamais pris quelqu’un dans ses bras, quand le langage cinématographique permettait déjà d’appréhender cette brisure humaine ?
Des personnages et relations esquissés
Cette surenchère discursive, qu’elle soit langagière ou émotionnelle, tient selon nous à l’écriture des personnages eux-mêmes, pas assez travaillés, aux moteurs parfois trop superficiels. L’intentionnalité du réalisateur, qui devrait être inscrite dans ses protagonistes, est compensée par cette outrance extérieure, qui manque de simplicité, de sobriété. Jeunesse sauvage déçoit de céder trop aux explications, de s’engouffrer trop facilement dans la colère empathique.
Raphaël apparaît comme un personnage incertain, un héros aux oscillations arbitraires. Frédéric Carpentier aurait pu tirer l’un ou l’autre fil – la tendresse impossible, la relation filiale, l’enfermement dans la spirale mortifère… – qu’il nous montre tout au long de l’histoire. Il n’en est rien, comme s’il ne pouvait trancher qu’au prix d’un deus ex machina aussi fragile que déconcertant, un bateau s’apprêtant à quitter Sète pour gagner le vaste monde. On nous l’explique par une parole anecdotique de son père – avec le flashback d’usage – quand son importance a posteriori aurait mérité quelques approfondissements.
La relation entre le père, remarquablement joué par Jérôme Bidaux, et le fils aurait par exemple mérité des nuances propres, plutôt que d’en rester à des aspects que nous avons déjà vus maintes fois, de Sweet Sixteen de Ken Loach à Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg ou – dans une moindre mesure – à Rosetta des frères Dardenne, à savoir la volonté du plus jeune de porter son géniteur, presque contre la volonté de ce dernier.
Il y a donc pleine de bonnes choses dans ce Jeunesse sauvage, mais qui mériterait d’être creusées, de prendre de (sagement ?) de l’âge.
Frédéric Carpentier, Jeunesse sauvage, France – Belgique, 2020, 82min
Sortie cinéma : 24 juin 2020
Genre : drame
Classification : tous publics
Avec Pablo Cobo, Darren Muselet, Léone François, Jérôme Bidaux, Kader Bouallaga, Sandor Funtek, Nacime Uhlmann, Anthony Piccarreta, Aïssam Sedratti, Brahim Perier, Yanis Boouugrab, Mohamed Laghchim, Sabri Nouiaoua, Anissa Zidane, Arame Diagne, Slenne Unvoas
Scénario : Frédéric Carpentier
Musique : Pablo Pico
Photographie : Romain Le Bonniec
Montage : Loïc Lallemand, Nicolas Houver
Producteurs : Frédéric de Goldschmidt, Virginie Lacombe, Samuel Feller
Production : Madeleine Films, Orange Studio, Magellan Films
Distribution : Fratel Films
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