La Fabrique Cinéma, programme orchestré par l’Institut français en soutien aux jeunes artistes issus des pays du Sud et émergents, maintient et présente sa sélection 2020 sous forme numérique. Présentation.

Face à la crise sanitaire, l’Institut français a décidé de maintenir la Fabrique Cinéma, son programme de repérage et de valorisation des cinéastes et producteurs de pays du Sud et émergents, qui propose un accompagnement sur mesure des projets de premier ou second film.

La présentation de ces projets, qui se déroulait jusqu’à présent lors du festival de Cannes, a été complètement virtualisée, avec des rencontres cybernétiques, en lien étroit avec le Marché du Film.

Parmi les dix projets sélectionnés cette année, deux viennent de nouveaux pays : Gina de Sara Stijović (Monténégro) et A Pair of leather clogs d’Olga Korotko (Kazakhstan). Pour la première fois également, le comité a retenu trois projets documentaires et sept projets de fiction. La parité a été respectée puisque cinq projets sont portés par des réalisatrices et cinq par des réalisateurs (représentés par six producteurs et quatre productrices). Enfin cinq projets sont des premiers longs-métrages et cinq sont des seconds. Le parrain de cette édition 2020 est le réalisateur Rachid Bouchareb.

Entretien avec Émilie Boucheteil, directrice du département cinéma de l’Institut français, à la découverte de ce qui est devenu, par la force des événements, la première « e-Fabrique Cinéma ».
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Quelle est l’intuition fondatrice de la Fabrique Cinéma ?

Il s’agit d’un programme inventé par l’Institut français il y a douze ans, dans le but de repérer et de valoriser les jeunes talents – cinéastes et producteurs – qui proviennent de pays du Sud et émergents. L’idée est de proposer un accompagnement sur-mesure des projets de premier et second long-métrage, en étroite collaboration avec le festival de Cannes. Nous voulons leur faire découvrir l’industrie cinématographique, car la France a une grande tradition de coproduction à l’international. C’est l’un des points forts de notre industrie. Nous trouvons donc très intéressant de travailler avec des cinéastes qui vivent parfois dans des pays où les cinématographies sont parfois plus fragiles et moins soutenues. Nous donnons ainsi à ces jeunes professionnels la capacité de se construire dans le monde du cinéma mondial.

Comment sélectionnez-vous les projets ?

Comme nous recevons énormément de candidatures, nous bloquons à cent vingt dossiers. Nous lisons chacun d’eux en détail, avec la plus grande attention, en lien avec trois comités de professionnels du cinéma – scénaristes, compositeurs, producteurs, directeurs de la photo, etc. – qui ont une connaissance des territoires dont nous recevons des projets. Au fur et à mesure des comités de lecture, nous affinons notre choix pour n’en retenir plus que dix au final.

Quel accompagnement concret proposez-vous pour ces dix projets ?

Nous faisons des points individuels avec chacun des porteurs de projets, un réalisateur et un producteur, car nous sélectionnons toujours des binômes, sauf si le réalisateur est également le producteur du film. Chaque projet est accompagné par un coach. Nous nous mettons à l’écoute de leurs besoins, que ce soit l’écriture du scénario, la présentation du projet ou encore la constitution d’un dossier en vue de trouver un producteur. Les projets sont ainsi accompagnés jusqu’à Cannes, dans une phase de développement qui est cruciale pour eux, et même bien au-delà : nous les redirigeons vers d’autres résidences, voire de nouveaux partenaires potentiels.

Quelle est la place du festival de Cannes dans ce dispositif ?

Nous avons un pavillon pendant le festival de Cannes, qui s’appelle « les cinémas du monde ». Ce pavillon et la Fabrique Cinéma sont donc hébergés par le festival. Nous avons en amont un dialogue constant avec Thierry Frémaux et ses équipes, notamment sur le choix de notre parrain, qui est cette année Rachid Bouchareb. Au moment du festival, de nombreuses rencontres ont lieu sur le pavillon et, en collaboration étroite avec le Marché du film, nous organisons des rendez-vous individuels avec les producteurs pour chaque projet. L’an dernier, nous avons fait intervenir Christian Jeune pour qu’il présente la manière dont il sélectionne les films pour Un Certain Regard, ainsi que Jérôme Paillard, directeur du Marché du Film, qui nous a expliqué l’organisation de l’événement.

L’annulation du festival en raison de la crise sanitaire influe-t-elle sur le soutien que vous proposez ?

Dès le début du confinement, dans l’attente de savoir si le festival serait maintenu ou non, nous avons commencé à réfléchir à des solutions pour dématérialiser le programme, afin de le transformer complètement en un accompagnement numérique. Au moment où aurait dû avoir lieu le festival de Cannes, nous avons lancé notre e-Fabrique et rassemblé chaque jour à 14 heures les lauréats pour différents formats : des rencontres avec des intervenants professionnels, tant des institutions venues présenter les dispositifs susceptibles de soutenir leurs projets que des laboratoires, des vendeurs ou des producteurs qui leur indiquent les outils pour la coproduction internationale. Nous avons ainsi eu des sessions collectives quotidiennes durant la quasi-totalité du mois de mai. Pour le mois de juin qui commence, nous allons avoir des accompagnements plus individuels : rencontres personnalisées avec les partenaires potentiels des projets, mises en ligne des pitch vidéo sur la plate-forme du Marché du Film pour que les coproducteurs potentiels puissent s’intéresser au projet, organisations de pitch en direct durant le Marché du Film en ligne… Rachid Bouchareb fera enfin un retour individuel sur chacun des projets, avant de leur donner une master class sur la manière dont il a lui-même construit sa carrière.

Quel est le pourcentage des films sélectionnés par la Fabrique Cinéma qui sont réalisés in fine ?

Depuis 2009, nous avons soutenu et accompagné 111 projets, soit 202 réalisateurs et producteurs issus de 63 pays. 70 % des projets trouvent des partenaires en coproduction. Mais pour ce qui est de la réalisation de projets, nous avons un pourcentage de 40 %. C’est un très bon chiffre, similaire aux programmes du même type accompagnant des projets de films en développement. En effet, pour les pays où il est parfois difficile de produire un film, la vie d’un film est hélas faite d’aléas, les processus de financements peuvent être très longs, ce qui conduit certains à devoir abandonner leur projets… nous avons pour objectif de tenter d’élever ce pourcentage à 50 %, ce qui serait un excellent taux de réalisation des projets. Ces films réalisés sont sélectionnés dans de nombreux festivals, à Cannes, Berlin, Venise…

Dans la sélection 2020, deux pays font leur apparition : le Kazakhstan et le Monténégro.

C’est une zone dans laquelle nous nous sommes déplacés dernièrement, car nous nous sommes rendu compte que nous avions peu de projets venant de cette région. C’est un secteur cinématographique en pleine consolidation : les festivals locaux se développent de plus en plus, ce qui nous a permis de découvrir des talents qui ont envoyé par la suite des projets, qui ont finalement été sélectionnés. C’est toujours intéressant de découvrir des projets de nouveaux pays.

Propos recueillis par Pierre GELIN-MONASTIER

 



Photographie de Une – La Fabrique Cinéma 2019 autour de la marraine Mira Nair
(© Catherine Vinay / Institut français)