Dans un film d’une poésie gothique, qui n’est pas sans rappeler l’univers de Tim Burton, Lluís Danés signe une fascinante fiction sur Enriqueta Martí, la « vampire de Barcelone », accusée d’avoir enlevé, torturé, prostitué et assassiné des enfants au début du XXe siècle. Un mythe urbain terrifiant qui touche à l’envoûtement dans ce film très maîtrisé. À découvrir ce mercredi en salles.

Critique

SynopsisBarcelone, au début du XXe siècle, voit cohabiter deux villes. L’une, bourgeoise et moderniste ; l’autre, crasseuse et sordide. La disparition de la petite Teresa Guitart, fille d’une famille riche, envoie une onde de choc dans tout le pays. La police a bientôt une suspecte : Enriqueta Martí. De son côté, le journaliste Sebastià Comas va mener une véritable enquête et découvrir la sombre vérité…

Celle que les médias ont surnommé la « vampire de Barcelone », dès la fin du mois de février 1912, a longtemps été considérée comme l’un des plus effroyables monstres que la Catalogne ait abrité en son sein : prostituée, proxénète, ravisseuse, tortionnaire et tueuse en série d’enfants, sorcière fabriquant des onguents avec les restes de ses victimes pour les vendre aux riches de la capitale catalane…

Mais depuis quelques années, des chercheurs remettent en question cette thèse, qui serait uniquement celle de journaleux en quête de scandales, bien aidés en cela par les puissants, avides de leurs morbides secrets.

Parmi ces chercheurs, Jordi Corominas et l’historienne de l’art catalane Elsa Plaza ont tous deux publié le résultat de leurs études en 2014 : Barcelona 1912. El caso Enriqueta Marti pour le premier, Desmontando el caso de la vampira del Raval pour la seconde. Ils dévoilent toutes les failles et les manquements de la prétendue enquête menée à l’époque et dénoncent une légende urbaine devenue mythe, portée par une culture patriarcale et capitaliste selon Elsa Plaza, au détriment de cette femme dont le seul crime était d’être pauvre et – probablement – déséquilibrée psychologiquement.

Disons-le d’emblée, le réalisateur Lluís Danés reprend la position de ces deux chercheurs : Enriqueta Martí ne serait coupable de rien ou presque, sinon d’avoir été la victime expiatoire d’une riche société pervertie dans son intégralité. Il explique ainsi que son film « raconte la naissance d’un monstre dont le but n’est que de cacher les véritables monstres ».

Où se situe la vérité ? À quel point Enriqueta Martí était-elle impliquée dans l’enlèvement et la disparition de ces enfants ? N’était-elle qu’une pauvre femme à la fragilité proche de la schizophrénie ou un rouage d’une diabolique machinerie impliquant une grande partie des classes supérieures de Barcelone ?

Qu’importe au fond, pour nous spectateurs français confrontés à ce qui se présente à nous comme une fiction savamment maîtrisée. Couronnée de récompenses en Espagne, avec cinq prix Gaudí (l’équivalent de nos César en Catalogne), cette œuvre est une formidable réussite formelle, nous plongeant dans une atmosphère qui n’est pas sans nous rappeler l’univers fantastique de Tim Burton, toute de poésie gothique ; il faut dire que la musique d’Alfred Tapscott n’y est pas pour rien, qui se rapproche parfois des airs sombres et mystérieux, piquetés de notes et de voix aigues, de Danny Elfman.

Nous suivons avec une fascination étrange l’enquête menée par Sebastià Comas, journaliste sous morphine et hanté par le suicide de sa jeune sœur victime d’inceste, qu’interprète avec talent Roger Casamajor, fascination devant le mélange de réalités sordides et de projections fantastiques, à l’instar du Cabaret de la muerte ou du bordel de nantis, son contrepoint fortuné. Mais ce sont les trois rôles féminins, tout en nuances dramatiques, qui marquent le plus : Nora Navas interprète la déchirante Enriqueta Martí, tandis que Bruna Cusí endosse le rôle de la fragile amante Amèlia et Núria Prims celui de la terrifiante proxénète.

D’aucuns pourront trouver le scénario manichéen… Il n’en reste pas moins que les errances du héros dans les rues souterraines et grises du Raval, filmées en noir et blanc comme si elles étaient drapées d’obscurité et de misère, sont d’une réelle force évocatrice, offrant un contrepoint radical aux quartiers riches dont les couleurs, les teintes et les drapés veulent explicitement s’inspirer des peintres catalans de l’époque : Francesc Masriera (1842-1902), Santiago Rusiñol (1861-1931) et Ramón Casas (1866-1932).

Lluís Danés fait preuve d’une parfaite maîtrise esthétique, suscitant aussi bien le malaise que l’envoûtement – on pourrait presque parler d’ensorcellement, pour être en adéquation totale avec le sujet. En ce sens, le film est une réussite.

Pierre GELIN-MONASTIER

 



Les mystères de Barcelone de Lluís Danés
Espagne | 2020 | 1h46 | Noir et Blanc & Couleur

Avec Nora Navas, Roger Casamajor, Bruna Cusi, Sergi Lopez, Núria Prims, Pablo Derqui, Mario Gas, Francesca Piñón, Francesc Orella…
Scénario : Lluís A. Martínez, María Jaén
Image : Josep Maria Civit
Son : Daniela Fermín
Musique : Alfred Tapscott
Montage : Dani Arregui

Producteurs : Raimon Masllorens, Carlos Fernández
Distribution : Destiny Films

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