De sa passion d’enfance pour le cinéma à une carrière entièrement consacrée aux arts et à la culture, la conseillère d’État et actuelle médiatrice du cinéma Laurence Franceschini est l’une des chevilles ouvrières majeures des politiques culturelles en France. Portrait de femme et présentation d’une fonction singulière : « médiateur du cinéma ».
Originaire de Paris, Laurence Franceschini découvre le cinéma très jeune. « Je me souviens de ma fascination pour les films et de l’ambiance si particulière des salles obscures », précise-t-elle. Du Livre de la jungle, son premier film, à L’Important c’est d’aimer de Zulawski en passant par des œuvres d’André Téchiné telles que Rendez-vous avec Juliette Binoche et Hôtel des Amériques avec Catherine Deneuve et Patrick Dewaere ou encore celles de François Truffaut comme La chambre verte et Adèle H., elle ressent à chaque fois « une énergie formidable » et découvre « la catharsis que représente le fait de se projeter dans d’autres vies, dans une œuvre de création ».
À la découverte de l’audiovisuel et de la presse
Après son baccalauréat, elle intègre Sciences Po Paris, tout en poursuivant en parallèle des études de droit, puis l’École nationale d’administration (ENA), « avec une motivation forte pour les questions de politique publique, de service public et d’intérêt général », et une « attraction particulière pour les questions culturelles ».
Si Laurence Franceschini entre d’abord au ministère des Finances, elle rejoint par la suite sans hésitation le CSA alors naissant, au tout début des années 1990, en tant que chargée de mission auprès du président. « Il y avait beaucoup de choses à faire, y compris sur le plan juridique. C’est par ce biais que je me suis intéressée à toutes les questions liées à l’audiovisuel. » Cette première fonction au CSA ouvre alors sur une longue carrière au service des arts et de la culture, tant à Matignon qu’au ministère de la Culture.
À Matignon, elle est tout d’abord nommée sous-directrice de l’audiovisuel, avant qu’on ne lui confie également la presse écrite, « un secteur absolument passionnant » du fait de son histoire ancienne, de sa relation complexe avec l’État, de l’enjeu lié au pluralisme des idées. « C’est un secteur qui arrive avec des propositions concrètes, même dans les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui, avec la distribution, les imprimeries, la méfiance des lecteurs… »
Une carrière dévouée à la culture
Entre 2004 et 2007, elle occupe le poste de directrice adjointe du cabinet du ministre de la Culture, où elle prend non seulement en charge l’audiovisuel et la presse écrite, mais également et plus largement le monde des industries culturelles : la musique enregistrée, la lutte contre le piratage… « J’ai notamment travaillé sur la loi du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. »
En 2007, elle revient à Matignon comme directrice du développement des médias, avant d’être nommée – deux ans plus tard et pour cinq années – directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), responsabilité qui regroupe des domaines aussi différents que le livre, l’audiovisuel, la presse écrite ou la musique enregistrée. « Nous nous occupions par ailleurs de toutes les questions transversales autour des industries culturelles, notamment celles induites par le numérique. »
En 2015, elle quitte sa fonction de DGMIC pour rejoindre le Conseil d’État. « J’ai alors eu la chance que l’on pense à moi pour des missions annexes à mon travail de conseillère d’État, telles que la médiation du cinéma, la présidence de la Commission paritaire des publications des agences de presse, le collège de la HADOPI dont je suis membre ou encore la présidence du conseil d’administration de l’Institut national de l’histoire l’art. »
Si elle insiste sur le fait que ces fonctions sont autant de « chances » pour elle, elle reconnaît également que ce sont de grosses missions qui impliquent de « travailler beaucoup ».
Médiateur du cinéma : une fonction d’arbitrage
Parmi ses nombreuses fonctions, il en est une qui est la plupart du temps méconnue, à l’exception de ceux qui y ont recours, c’est celle de “médiateur du cinéma”.
La mission essentielle du médiateur du cinéma est d’arbitrer les relations entre distributeurs de film et exploitants de salles de cinéma. Le médiateur peut être saisi par l’une ou l’autre des parties, en cas de litiges sur la diffusion d’un film. « Dans le domaine de la distribution cinématographique, il n’y a pas de refus de vente, mais la distribution est sélective – c’est même souhaitable – afin de favoriser la diversité, explique Laurence Franceschini. La diversité implique qu’il n’y ait pas les mêmes films partout et que d’autres films aient la chance de rencontrer leur public. » Chaque année, soixante-dix à cent médiations ont ainsi lieu, avec des périodes plus intenses comme la fin de l’année (octobre-décembre) et l’avant festival de Cannes (mars-avril).
La seconde mission est liée aux créations ou extensions de complexes cinématographiques. Après un passage devant une commission départementale, le projet est transmis au médiateur du cinéma qui analyse les risques éventuels de concurrence entre les cinémas de la zone géographique concernée et les conséquences sur l’offre de films. En cas de doute, un recours est déposé devant la commission nationale d’aménagement cinématographique – « ce qui ne représente jamais plus de trois cas par an, précise l’actuelle médiatrice du cinéma. Je ne souhaite en effet faire des recours que si la cause me paraît vraiment en valoir la peine. »
Lorsque le médiateur observe qu’il est saisi à plusieurs reprises sur un même sujet, qui lui semble « mériter l’élaboration d’un cadre général de principes utiles pour les professionnels », il peut enfin édicter une recommandation, qui n’a pas de portée réglementaire mais propose de respecter certaines règles afin de prévenir les conflits.
Depuis qu’elle est médiatrice du cinéma, Laurence Franceschini a élaboré plusieurs recommandations, dont celles sur les mono-écrans, sur les cinémas de deux ou trois écrans, sur les sorties anticipées d’un film ou sur la situation à La Réunion. Récemment, pour préparer la réouverture des salles de cinéma, elle a élaboré une recommandation sur les principes qui pourraient être appliqués pendant cette période. « C’est une mission qui me rend heureuse, conclut Laurence Franceschini, car elle me permet de continuer à servir les œuvres et les publics. »
Crédits photographiques : Pierre Gelin-Monastier