Daniel Cohen adapte au cinéma l’une de ses pièces, L’île flottante, qui se veut une réflexion sur le succès, l’amitié, mais aussi sur la création et la façon de chacun de se réaliser : une comédie qui manque un peu de sincérité et de profondeur…

De la scène à la toile

Nous avons tous en tête des répliques de pièces de théâtre mises en scène au cinéma. Nombreuses sont les comédies françaises tirées de pièces qui ont remporté un franc succès et sont devenues des films que l’on ne peut qualifier que de « cultes » : que ce soit le fameux Le Père Noël est une ordure de la troupe du Splendid, créé en 1979 et adapté ensuite en 1982, Le Dîner de cons de Francis Veber, tourné en 1998, Un Air de Famille, en 1996, dans lequel les auteurs et comédiens de la pièce – Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui – reprennent chacun leur rôle au cinéma ou encore l’hilarant Le Prénom, dont la réception depuis 2010 ne cesse de remporter un succès public phénoménal. Dans ces créations, les personnages incarnent un travers humain – comme c’est le cas dans les comédies de Molière – et leurs répliques ont l’art de faire rire tout en faisant réfléchir : sous des dehors légers, il y est question de différences sociales, de respect, de racisme, de relations entre les hommes et les femmes, d’ego, de snobisme, de racisme…

Le Bonheur des uns… ne connaîtra sûrement pas une telle réception parce que, justement, il n’approfondit pas son sujet.

En effet, le film s’ouvre sur une séquence de restaurant – celle de l’affiche du film – où deux couples terminent un dîner. La question du dessert que l’on prend ou pas – l’enjeu étant la fameuse île flottante du titre de la pièce – s’éternise : on se décide, puis on hésite, on change d’avis, pour finalement se laisser tenter… avant de se raviser !…, le tout devant un serveur de plus en plus agacé et des spectateurs qui eux-mêmes hésitent entre un début d’exaspération et un amusement figé…

Ce que tend à montrer cette première séquence – à laquelle la dernière fera pendant –, c’est que Léa (incarnée par Bérénice Béjo que l’on a envie de sauver des griffes de Florence Foresti dès les premières minutes !) est incapable de prendre des décisions. Elle est celle dont on rit, dont on moque l’incapacité à choisir ou à donner son avis, à se faire entendre et respecter. Elle n’est que la douce Léa, que la gentille amie discrète de Karine (Florence Foresti), elle-même mariée à Francis (François Damiens), que la tendre compagne de Vincent (Vincent Cassel), l’agréable vendeuse de vêtements. Pourtant, la brave fille bien gentille, la jeune femme sans ambition qui redoute de recevoir une promotion, observe le monde qui l’entoure à sa pause déjeuner dans la galerie du magasin où elle travaille et elle note ses observations. Encouragée par hasard par un auteur à succès, elle décide – malgré les moqueries de son entourage – de faire de ses notes un roman. Surprise : elle est courtisée par deux éditeurs, est publiée et rencontre un succès aussi phénoménal que subit.

Et c’est alors que le vrai visage des siens se dévoilent.

De l’ombre à la lumière

Si le succès ne change pas Léa, qui reste la même belle et charmante personne, son entourage se déchaîne en jalousie, en course au succès, en critiques violentes et mesquines… Le mari constate alors qu’il préfère que sa femme reste dans son ombre : Vincent Cassel offre ici une prestation qui semble être une pâle imitation de celle de Mon Roi, comme s’il hésitait à montrer toute la palette du caractère désagréable du mari. En revanche, Florence Foresti n’a elle aucune hésitation : elle semble lâchée dans une cour où elle veut manifestement régner seule, comme son personnage qui aimerait écraser son amie dont le succès la rend folle de jalousie. Tout se passe en effet comme si l’actrice désirait voler la vedette à Bérénice Béjo, qui de son côté reste toujours juste, élégante et distinguée – mais qui ne le serait pas à côté de Florence Foresti ?! Quant à François Damiens, il a la capacité incroyable d’émouvoir avec un simple regard, de faire rire avec un geste discret. L’amour que son personnage éprouve pour sa femme et le soutien indéfectible qu’il lui apporte ne peuvent qu’émouvoir le spectateur, en dépit des efforts désespérés qu’il fait pour accéder lui-même à se découvrir un talent artistique.

On aurait aimé qu’au lieu de basculer dans une promotion cousue sur mesure pour la maison d’édition Gallimard – par exemple, un pan de la bibliothèque de Léa est constitué de livres de la maison blanche ou encore Karine lit l’incipit de L’Étranger, livre publié par Gallimard, espérant que son mari ne le connaisse pas… –, le film se penche plutôt sur les travers humains qui sont en jeu dans cette situation, qu’il tâche d’apporter des réponses aux questions qu’elle soulève. Par exemple, l’amitié peut-elle résister au succès soudain d’un ami ? Qu’est-ce que réussir sa vie : est-ce quantifiable grâce à sa réussite professionnelle, au fait d’avoir des enfants, à la force de sa relation amoureuse ? Le regard des autres est-il important pour s’épanouir dans sa vie ? Ou encore, le succès change-t-il les personnes ou bien plutôt le regard de l’entourage ?

Toutes ces questions, soulevées par le film, ne reçoivent jamais de réponses. Or, ce qui fait la force d’un film comme ceux précédemment cités est justement, au-delà du rire, ou plutôt grâce au rire, de permettre aux hommes de se corriger de leurs défauts, comme on l’a dit des comédies de Molière. Nous attendions une œuvre qui illustre la fameuse formule Catigat ridendo mores, nous n’avons vu qu’un one woman show…

Virginie LUPO



Daniel Cohen, Le Bonheur des uns…, France, 2020

Sortie : 9 septembre 2020
Genre : comédie
Classification : tous publics
Avec Florence Foresti, Vincent Cassel, Bénérice Béjo, François Damiens
Scénario : Daniel Cohen, Olivier Dazat
Musique :
Maxime Desprez, Michael Tordjman

Production : Cinéfrance, Artémis Productions
Distribution :
SND

En savoir plus sur le film avec CCSF : Le Bonheur des uns…

 



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