Par une décision récente, la Cour européenne des droits de l’homme confirme que le collage satirique à caractère politique, même usant de photographies, appartient au champ de la liberté d’expression.

Au commencement est un collage réalisé en 2006 par Michael Dickinson, un universitaire et artiste de nationalité britannique résidant en Turquie : il superpose la tête de Recep Tayyip Erdoğan, alors Premier ministre turc (avant qu’il ne devienne président du pays), un dollar dans la bouche, sur un corps de chien tenu par une laisse qui reprend des caractéristiques du drapeau américain. En légende, cette courte phrase : « Nous ne serons pas le chien de Bush » – en référence au 43e président des États-Unis, George W. Bush, alors en fonction depuis cinq ans et pour trois ans encore.

Spécificité du collage : l’usage de photographies

L’œuvre, présentée dans le cadre d’une exposition à Istanbul, suscite rapidement le scandale en Turquie. Michael Dickinson est accusé d’insulter Recep Tayyip Erdoğan. Placé en garde à vue, puis en détention provisoire pendant trois jours, l’artiste est acquitté en première instance au nom des principes énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme, avant d’être finalement condamné à une amende judiciaire avec sursis par la Haute juridiction, qui y voit une humiliation du Premier ministre, donc une atteinte à son honneur et à sa réputation. Cinq ans plus tard, l’artiste n’ayant pas renouvelé pareil acte, le sursis est levé.

Michael Dickinson saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme, au nom de sa liberté d’expression en tant qu’artiste. La difficulté de cette affaire vient, selon la juridiction strasbourgeoise, de la spécificité du collage. Ainsi que l’explique clairement Maître Baptiste Nicaud, avocat au Barreau de Paris et maître de conférence à l’université de Limoges, dans un article (très) complet publié par Légipresse*, « le collage, à la différence de la caricature classique, a ici pour matériau la photographie et non le dessin ». La photographie a ses lois propres, du fait qu’elle peut contenir des informations personnelles. Dès lors, « la spécificité du collage – par son recours à la photographie – conduit à une analyse plus restrictive de la liberté d’expression ».

Débat d’intérêt général et liberté artistique

Dans le cas présent, la photographie du visage de Recep Tayyip Erdoğan ne contient aucune information d’ordre intime ; elle est apposée sur un corps de chien du fait de la haute fonction qu’occupe l’homme politique, et non pour des raisons personnelles. Le collage de Michael Dickinson participe par ailleurs du débat d’intérêt général sur les relations internationales, en souhaitant dénoncer l’allégeance de la Turquie aux États-Unis, trois ans après la guerre d’Irak initiée par ces derniers et alors que la première guerre civile irakienne vient tout juste d’éclater entre sunnites et chiites, entraînant dans son sillage, pendant près de trois ans, des centaines de milliers de morts.

La provocation que représente ce collage, nonobstant l’humiliation que peut ressentir Recep Tayyip Erdoğan, entre dans le cadre de ce débat d’intérêt général, n’est donc pas une offense gratuite et appartient de facto à la liberté d’expression. Celle-ci est en outre confirmée du fait qu’il s’agit d’une œuvre artistique.

Finalement, au terme d’un argumentaire que Maître Baptiste Nicaud juge parfois « décousu », la Cour européenne des droits de l’homme donne raison à Michael Dickinson – mort en juillet 2020 – au motif que le collage relève de la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme dit également craindre que de telles sanctions entraînent un effet dissuasif sur l’exercice de cette liberté, donc une autocensure.

Vanessa LUDIER

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* Pour en savoir plus : Baptiste Nicaud, « Le collage satirique en tant que critique politique protégé par la liberté d’expression », Légipresse, N° 391, 2021, p. 157

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Source photographique : Pixabay