S’il s’intitule « le monde d’après », ce 3e Jurassic World ressemble tout de même très fort au monde d’avant. Va encore falloir patienter pour que l’après soit demain !
Bienvenue dans le monde après ! Je ne parle pas ici de crise sanitaire, mais bien du 6e film de la saga Jurassic Park, qui sort dans les salles près de 30 ans après le tout premier volet. Jurassic World : le monde d’après : 146 minutes de pure intensité, jusqu’à épuisement complet du spectateur.
« Toujours plus loin, plus fort, plus vite, jusqu’au bout de l’extrême-limite » (les millenials comprendront) pourrait être la devise de « Jurassic World », la seconde trilogie inspirée des romans de Michael Crichton et des célèbres adaptations cinématographiques faites par Steven Spielberg au début des années 1990.
Dans le très mauvais Jurassic World, 1er du nom, réalisé par Colin Trevorrow, il y avait le méchant InDominus, génétiquement modifié par l’immortel Docteur Wu ; dans l’opus suivant, Jurassic World: Fallen Kingdom, un peu mieux réalisé par Juan Antonio Bayona en dépit d’incohérences de scénario tout à fait fantastiques, il y avait le très méchant Indoraptor. Place désormais au Gi-ga-no-to-sau-rus : plus grand, plus puissant, plus méchant… et aussi plus difficile à prononcer !
Résumons l’histoire : les îles tropicales au large de Costa Rica sont désormais loin derrière nous, englouties pour certaines sous la lave. Les dinosaures se sont répandus dans le monde entier, faisant l’objet d’une protection toute spéciale de Biosyn Genetics, qui a pris pour l’occasion le relais d’InGen (dans les romans de Crichton, les deux sociétés sont rivales), avec toutes les conséquences que cela suppose : un humanisme d’apparat… mais en réalité, derrière la façade ripolinée, de gros vilains objectifs et desseins.
Ici, il n’est plus question de dénoncer la société du divertissement. Nos scénaristes visent plus haut : les méchants sont désormais du côté de l’agro-alimentaire, de la culture intensive et – mais cela reste pour le coup un classique – du côté de ceux qui se pensent, pour paraphraser Descartes, comme « maîtres et possesseurs de la nature ».
Par conséquent, que défendent les gentils ? Eh bien qu’il faut apprendre à cohabiter, pardi ! C’est surprenant comme une victoire de Nadal à Roland Garros et émouvant comme une émission de Cyril Hanouna.
Et nous en arrivons à cette conclusion aussi naïve que – sans mauvais jeu de mots – bébête : le vivre-ensemble englobe tout le monde sans exception. Ou pour le dire en des mots plus mythologiques, empruntés au livre d’Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, et le léopard gîtera avec le chevreau ; le veau, le lion et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, et un enfant les conduira. »
Hum ! J’ai peur que ce ne soit trop littéraire. Partons sur la version plus contemporaine de Hugues Aufray, dans son tube « Le lion et la gazelle », plus en phase avec le film… Cela donne :
« Souviens-toi mon ange qu’au temps de Noé
Oui, nous vivions ensemble sans nous disputer
À nous deux ma blonde on peut tout changer
Et refaire le monde, pour l’éternité. »
En bref, à la fin, tout le monde se marie, les tricératops convolent en lune de miel avec les étalons sauvages, le mosasaure – qui bouffait tout et tout le monde deux épisodes plus tôt – joue maintenant à cache-cache avec les baleines et les orques, et les femmes n’héritent finalement plus de la terre… Nous voilà dans un univers à la Pangloss, où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Mais que se passe-t-il entre-temps ? Pendant près de deux heures et demie, il aura fallu combattre un nouveau méchant – plutôt réussi, pour le coup – incarné par Lewis Dodgson, survivre à quelque 374 dinosaures, voler dans les eaux, rouler dans les airs, nager sur la neige et patiner dans les rues de Malte…
Et surtout, nous assistons à la réunion des deux bandes de protagonistes : celle de Jurassic Park, incarnée avec toujours autant humour par les docteurs Ian Malcom, Ellie Sattler et Alan Grant, héros malgré eux ; et celle de Jurassic World qui réunit le héros stéréotypé par définition, à savoir Monsieur Muscle – Owen Grady – et ses deux adjoints : Claire Dearing, originellement cousine avec Miranda Priestly du Diable s’habille en Prada et soudain devenue la petite sœur de Lara Croft, ainsi que la petite Maisie Lockwood, dont l’apprentissage de la voie de la Force en fait une Padawan de qualité, jusqu’à parvenir ultimement à contrôler un bébé Raptor à la force du poignet et de sa volonté : « Eyes on me ! »
Rajoutez une femme noire bien badass qui casse des codes déjà brisés depuis 20 ans, et nous y sommes.
Le résultat est à la hauteur de l’attente, à deux titres.
D’une part, premièrement, l’équilibre entre aventure et horreur, qui fait le succès de la série, est parfaitement respecté. Nous avons des scènes assez époustouflantes, comme celle où James Bond est poursuivi par des dinosaures dans les ruelles de Malte, ou encore celle qui voit la vallée prendre feu du fait d’un envol enflammé de sauterelles génétiquement modifiées.
Il faut reconnaître que ce film nous offre des scènes d’une qualité stupéfiante, menées à un rythme effréné, au point d’en ressortir essorés : les évolutions technologiques suivent incontestablement la volonté de surenchère des scénaristes et du réalisateur, Colin Trevorrow. On en prend plein les mirettes !
D’autre part, secondement, l’intrigue est celle de tous les opus du monde d’avant : au pire, quasi inexistante ; au mieux, vue et revue mille fois. Un vide soutenu par une succession de petites phrases ridicules préfabriquées pour devenir les répliques culte de demain.
Si le premier film a marqué les esprits pour sa formidable capacité d’innovation, Jurassic manque ainsi toujours de l’œuvre qui la fera véritablement passer dans le monde d’après, à l’instar de The Dark Knight pour Batman : on attend l’opus intelligent, celui qui conjuguera le divertissement avec l’analyse profonde et nuancée des enjeux.
Nous pouvons espérer un tel film, car, nous le savons depuis longtemps : Life finds a way. « La vie trouve toujours un chemin. »
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