Lieu mythique du cinéma, le Saint-André-des-Arts fête aujourd’hui son 50e anniversaire. Ken Loach, Wim Wenders, Theo Angelopoulos, Barbara Loden ou encore Barbet Schroeder et Raymond Depardon y ont été révélés aux spectateurs français. Hommage à un lieu exceptionnel et à son courageux fondateur, Roger Diamantis.

Nous parlons d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Paris en ce temps-là n’avait pas d’usines de type UGC, Pathé ou Gaumont, ni de cartes d’abonnement, ni d’uniformisation des programmations. Chaque exploitant de salles choisissait ses films, selon ses goûts, sa rigueur, ses envies.

Au sommet du cinéma indépendant

En 1971, Roger Diamantis, fils de restaurateurs d’origine grecque, rachète une ancienne fabrique de cartons à l’ombre de la place Saint-Michel, au cœur du Quartier latin, et y bâtit deux salles : le Saint-André-des-Arts ouvre ses portes le 27 octobre 1971, avec la projection de La Salamandre, du réalisateur suisse Alain Tanner. Projeté pendant une année complète – en ce temps-là, on prenait aussi le temps –, le film connaît un succès phénoménal. « C’est peut-être le seul film en noir-blanc, 16mm et sans vedette qui ait fait 200 000 entrées à Paris », se souvient Bulle Ogier, révélée par La Salamandre.

C’est le début d’une aventure sans équivalent, marquée par la personnalité d’un programmateur exigeant, aux goûts variés et sûrs. « Je suis contre l’esprit de chapelle, assène à l’époque un Roger Diamantis passionné. Car de la chapelle à l’uniforme, il n’y a qu’un pas (cadencé). »

Défricheur de talents, il accueille de jeunes cinéastes inconnus, dont il perçoit d’emblée le talent : Family Life de Ken Loach (près de 170 000 entrées au seul Saint-André-des-Arts pour 245 000 au total), Natalie Granger de Marguerite Duras avec Jeanne Moreau et Gérard Depardieu, Général Idi Amin Dada : Autoportrait de Barbet Schroeder, Wanda de Barbara Loden, Le Voyage des comédiens de Theo Angelopoulos, Au fil du temps de Wim Wenders, L’Empire des sens de Nagisa Ōshima, Te souviens-tu de Dollu Bell ? d’Emir Kusturica (son premier long-métrage)… Tous ces noms sont devenus des classiques aujourd’hui. Ils le doivent en partie grâce au travail acharné d’un homme passionné, qui voit dans le cinéma un lieu unique de compréhension du monde.

Les premières années, prolifiques, propulsent le Saint-André-des-Arts au sommet de la défense du cinéma indépendant, de sorte que Roger Diamantis est élu vice-président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE). Il rachète le Gît-le-Cœur en 1978, une troisième salle du Quartier latin, où il projette aussitôt La Collectionneuse d’Éric Rohmer, film paru onze ans plus tôt. Un choix courageux dans une époque gouvernée par le souci de la nouveauté à tout prix, quitte à faire l’impasse sur la qualité.

Survivre au milieu des mastodontes

Mais dans le même temps, de puissants circuits de distribution investissent le cœur de la capitale : Parafrance (aujourd’hui disparu), Gaumont, Pathé, UGC… Les exclusivités se font plus rares, Roger Diamantis ne pouvant compter que « sur quelques fidèles pour lui accorder les nouveautés dans sa salle* », tels Raymond Depardon et Alain Cavalier.

« L’homme qui considère chacun des films qu’il programme comme ‘‘ses enfants’’ ne baisse pas la garde en ce nouveau siècle qui n’en finit pas de le mettre à mal », écrit le cinéphile Axel Huyghe dans un livre sur le Saint-André-des-Arts qui vient de paraître chez L’Harmattan*. À la perte du système des exclusivités, tout le monde projetant dorénavant les mêmes films partout, s’ajoute la création par l’UGC de cartes d’abonnement illimité en 2000, système aussitôt repris par Pathé et Gaumont, mettant à mal les salles indépendantes qui veulent encore croire au sur-mesure, à l’exigence de la programmation, au dialogue avec des réalisateurs particuliers à travers des œuvres singulières.

Certaines salles d’art et d’essai commencent alors à jeter l’éponge et ferment leurs portes dans les années 1980 et 1990, quand elles ne se laissent pas reprendre par les mastodontes de la distribution. Roger Diamantis tient bon, ayant pour lui l’avantage d’être propriétaire des lieux. Il continue d’accueillir des œuvres d’« auteurs », au sens plein du terme, et notamment des documentaires, genre qui émerge de plus en plus avec une créativité renouvelée : Agnès Varda, Joris Ivens, Marceline Loridan, Nicolas Philibert…

Seule la maladie parvient à mettre à terre l’inépuisable cinéphile. Après cinq années de souffrance, il meurt le 15 juin 2010, laissant le milieu du cinéma orphelin.

Les re-découvertes du Saint-André-des-Arts

« Les trois salles ne sont plus entretenues et les distributeurs s’éloignent du cinéma déclinant de la rue Saint-André-des-Arts dont la survie semble menacée », détaille Axel Huyghe. Mais le virus est passé : sa femme Dobrila Diamantis, avec qui Roger s’est marié en 1964, et son fils Éric reprennent le flambeau.

Les salles sont équipées de la technologie numérique, les espaces refaits et la programmation renouvelée. Ce renouveau en cours est symbolisé par le cycle “Les Découvertes du Saint-André” qui présentent des films inédits, confidentiels et à l’économie précaire. « Les films que je choisis sont remplis d’imperfections et montrent la difficulté d’une création, reconnaît Dobrila Diamantis, mais j’ai envie de leur donner une chance. »

« “Les Découvertes du Saint-André” ouvre la voie à un cinéma libre et novateur, à l’heure où la technologie numérique permet à de jeunes cinéastes de réaliser avec très peu de moyens et souvent en autofinancement leurs films, explique Axel Huyghe. Grâce au Saint-André-des-Arts qui voit en cette nouvelle décennie sa vocation renouvelée, des films de fiction, expérimentaux ou documentaires bénéficient, pendant 14 semaines, d’une séance quotidienne dans la salle mythique du Quartier latin. Comme l’a expérimenté Alain Cavalier en 1996 avec une séance quotidienne de La Rencontre. »

À la suite de la pandémie, Dobrila Diamantis vient de passer le flambeau du Saint-André-des-Arts à Shellac, société de distribution et d’édition cinématographique fondée en 2002 par Thomas Ordonneau et basée à Marseille, où elle exploite notamment deux salles, La Baleine sur le cours Julien et le Gypsis à la Friche de la Belle de Mai.

Jubilé : une semaine de projections et de rencontres

Pour son cinquantième anniversaire, le Saint-André-des-Arts voit les choses en grand. Lors de la soirée d’ouverture, ce mercredi 27 octobre, La Salamandre d’Alain Tanner, avec Bulle Ogier et Jean-Luc Bideau, sera projeté, comme ce fut le cas cinquante ans plus tôt.

Tout au long de la semaine, quelques films qui ont marqué le Saint-André-des-Arts au fil des ans seront proposés, en présence de nombreux invités. On pourra ainsi voir sur la grande toile des œuvres de Nagisa Ōshima, Barbara Loden, Julie Bertuccelli, John Cassavetes, Barbet Schroeder, Agnès Varda, Jean-François Stevenin, Jim Jarmush, Alain Cavalier, Ken Loach, Maurice Pialat

Pour la soirée de clôture, le mardi 2 novembre, près d’une vingtaine de réalisateurs soutenus par le Saint-André-des-Arts offriront un court-métrage en hommage au lieu. L’événement sera suivi d’un forum sur les cinémas indépendants parisiens, avec Michel Gomez, Claude Gérard, Samy Merle, Micheline Gardez… Les deux rencontres seront animées par notre journal, Profession Audio|Visuel. La soirée s’achèvera avec la projection de Roger Dimantis ou la vraie vie, documentaire d’Élise Girard (2005).

Pierre GELIN-MONASTIER

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En savoir plus : le Saint-André-des-Arts
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* Toutes les citations de cet article sont extraites de : Axel Huyghe (texte) et Arnaud Chapuy (photographies), Le Saint-André-des-Arts. Désirs de cinéma depuis 1971, coll. ‘‘Salles de cinéma’’, L’Harmattan, 2021, 96 p., 25 €

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