Après sa trilogie sur la traque d’un djihadiste, Marc Trévidic, Matz et Giuseppe Liotti nous offrent une nouvelle bande dessinée en un unique volume : Les fiancées du Califat. Une ouverture sur une réalité méconnue de l’État islamique : les femmes djihadistes. Un album à la rigueur formelle réussie.

Renaud l’a chanté : les crimes ne peuvent être que le fait des hommes, non des femmes. « Dans cette putain d’humanité, les assassins sont tous des frères, pas une femme pour rivaliser à part peut-être Madame Thatcher. »

Derrière cette galante attention et la virulente critique politique, reste le présupposé de la femme incapable de violence physique. Une mégère, fût-elle hystérique ou apprivoisée, peut-être ; une criminelle, certainement pas. Comment la penser dès lors terroriste, a fortiori islamiste, cette idéologie religieuse qui considère les femmes comme « des ventres, des marchandises stockées, des esclaves », selon le témoignage de Laura Passoni, une Belge convertie, qui a rejoint l’État islamique en Syrie en 2014, avec son fils et son mari, avant de fuir les lieux, de prendre ses distances et de raconter son expérience dans Au cœur de Daesh avec mon fils (éditions La boîte à Pandore, 2016) ?

Pourtant, qui a lu Femmes de djihadistes du journaliste Matthieu Suc sait ce qu’il en est. Ainsi, en septembre 2016, quatre femmes sont interpellées à Boussy-Saint-Antoine, dans l’Essonne, et près d’Orange – alors qu’elles s’apprêtent à commettre des attentats en France – dans le cadre d’une enquête liée à une voiture chargée de bonbonnes de gaz à proximité de Notre-Dame de Paris. Elles sont 39, 29, 23 et 19 ans. Elles représenteraient par ailleurs 40 % des troupes venues de France jusqu’en Syrie, soit 275 des 689 personnes parties rejoindre le Groupe État islamique.

Il est pourtant difficile pour nous Occidentaux de comprendre ce qui pousse des femmes à rejoindre une idéologie si mortifère – y compris pour elles-mêmes. C’est probablement pourquoi la nouvelle bande dessinée scénarisée par Marc Trévidic et Matz et dessinée par Giuseppe Liotti, Les fiancées du Califat, est intéressante.

On ne présente plus Marc Trévidic, ancien juge antiterroriste au tribunal de grande instance de Paris pendant neuf ans, jusqu’en 2015, et aujourd’hui président de chambre à la cour d’appel de Versailles. En 2018 et 2019, il s’associe avec Matz et Giuseppe Liotti pour une trilogie, Compte à rebours, qui met en scène Antoine Duquesne, juge au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, suivant la trace d’un terroriste présumé mort, Abou Othman.

Nous retrouvons le trio d’auteurs et leur héros Antoine Duquesne pour un nouveau volume, une histoire en un seul tome – ce que l’on peut regretter, tant le scénario des Fiancées du califat aurait pu être davantage étoffé.

De facture assez classique, à la manière des séries policières américaines, un plan large nous donne systématiquement le lieu où se déroule l’action, avant que le cadrage soit resserré autour des personnages, souvent appréhendés de près. Champs et contrechamps se succèdent en grand nombre, insistant sur les interactions de chaque groupe : les femmes djihadistes, le Cheick et son adjoint, l’équipe antiterroriste… Le lettrage est dans la même veine classique, puisque le choix est fait d’une typographique informatisée en lettres capitales, qui donne une sobriété et une rigueur à l’ensemble. Les chevauchements de nombreuses cases brisent néanmoins cette austérité formelle, le plan du fond – large, présentant un lieu ou une situation – étant recouvert de plans plus contractés laissant place au dialogue ou à l’action.

Le sérieux visuel de la bande dessinée fait naturellement écho à celui de l’enquête policière, qui s’attache à être au plus près de la réalité. Nulle fantaisie ne saurait être de mise en face de l’une des grandes menaces que vivent actuellement les pays occidentaux : la radicalisation et le terrorisme qui frappe aveuglément des innocents. Telle est probablement la plus importante qualité de cette bande dessinée : nous faire vivre à nouveau de l’intérieur, avec un suspense maîtrisé, la double réalité du terrorisme et de l’antiterrorisme, de sorte que l’on espère d’autres volumes du trio, afin d’explorer encore et toujours cet unique fascinant, qui nous est aussi proche géographiquement qu’il nous est éloigné mentalement.

Pierre GELIN-MONASTIER

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Marc Trévidic et Matz (scénario), Giuseppe Liotti (dessin), Gaétan Georges (couleurs), Les Fiancées du califat, Rue de Sèvres, 2021, 64 p., 15 €

 



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