Étalonneur ou coloriste, deux termes pour traduire le rôle d’un assistant clef de l’image dans un film. À l’ère du numérique et du visuel, ce métier prend davantage d’ampleur. Souvent très au fait des dernières technologies — partie prenante de sa spécialité —, il est d’une grande aide pour le directeur de la photographie, qu’il assiste dès avant le tournage. Et c’est lui, enfin, qui a le dernier mot pour l’image que le spectateur savourera à l’écran.
Le rôle essentiel de l’étalonnage est d’harmoniser les différents plans d’un film, de l’aspect de la peau des comédiens à celle de la lumière, pour rendre l’atmosphère plus homogène. Mais tout l’art de l’étalonnage est de passer inaperçu, comme la touche finale qui amène chacune des images à l’évidence. « Ni enflure, ni surcharge », comme dirait Robert Bresson.
Appellations
Étalonneur ou coloriste.
Définition
L’étape de l’étalonnage est incontournable pour un film et se passe concrètement dans la phase de post-production. Mais l’étalonnage s’anticipe dès la préparation du tournage, en corrélation avec le travail photographique, selon les caractéristiques des optiques de plus en plus précises. « Quand je prépare un film, je fais faire à mes assistants des essais sur des gris neutres avec des lumières constantes et on voit tout de suite si la série est cohérente et vers quelle teinte elle a tendance à tirer. Ce sont des paramètres qui peuvent aussi se contrebalancer au niveau de l’étalonnage aujourd’hui, mais il faut le savoir au départ », explique la directrice de la photographie Caroline Champetier, dans Écrire par l’image (Éditions Les Impressions Nouvelles, 2019).
L’étalonneur doit avoir un œil artistique mais n’est pas à proprement parler un artiste lui-même. C’est sa passion pour la technique et l’image qui lui confère ce rôle singulier de soutenir la démarche du chef opérateur et celle du réalisateur. Il conseille ainsi depuis le choix des caméras, des filtres ou des optiques jusqu’à la retouche de la photographie finale. Son rôle auprès du chef opérateur est « d’être là pour le rassurer et lui permettre d’obtenir ce qu’il souhaite, explique Serge Antony. Ses assistants vont avoir tendance à le noyer dans la technique, alors que notre rôle est justement de le dégager de la technique pour qu’il soit davantage dans sa vision et lui faire des propositions esthétiques plutôt que techniques. »
Selon Dimitri Darul, professeur d’étalonnage à l’ENS Louis-Lumière, « l’étalonneur en fiction est vraiment celui qui finit le geste, il vient signer le travail du chef opérateur qui a tout mis en œuvre, de la création de son univers à celle de la lumière. C’est vraiment un travail collaboratif, à l’image du couple réalisateur-monteur. » Après la préparation du tournage, il intervient en post-production quand le montage est terminé. Il uniformise alors les plans entre eux, travaille la couleur, les contrastes, la lumière, l’homogénéité, ainsi que l’accord de l’image à la dramaturgie pour parfaire l’univers esthétique du film.
Le travail d’étalonnage est particulièrement important dans le domaine de la fiction, car l’image peut plus librement s’éloigner du réalisme que dans le documentaire, et donc être travaillée. C’est un univers à part entière, avec des potentialités quasi infinies, si bien que l’étalonneur est là aussi pour ouvrir le champ des possibles, toujours au plus près du ton que doit avoir le film. En numérique, cela permet aussi de basculer de la couleur au noir et blanc, comme pour le film Independencia (2009) de Ryan Martin, photographié par Jeanne Lapoirie.
Il existe des esthétiques célèbres, comme celle de Wes Anderson ou du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Mais, selon les étalonneurs, certains estiment qu’un bon film est celui dont on se souvient de l’image, quand d’autres pensent que c’est justement le contraire. Quoi qu’il en soit, la manière d’étalonner s’adapte avant tout à l’intention du réalisateur ou au genre du film. En effet, Dimitri Darul nous rappelle qu’en général « les directions d’étalonnage mettent le spectateur dans un état d’esprit spécifique. Les films d’horreur, thrillers, policiers ou comédies ont un étalonnage fait pour caractériser le style de film. »
Qualités requises
Pour s’aventurer aisément dans cette spécialité, l’amour de la technique est un préalable non négociable. « Un bon étalonneur doit avoir suffisamment assimilé la technique pour traduire l’intention en image et être un caméléon, rappelle Yov Moor. Sans cela, il risque d’utiliser toujours la même méthode pour développer l’image et de passer à côté du film. » Dimitri Darul, monteur et étalonneur, insiste également sur ce point : « Il ne faut pas avoir peur de la technique, car ce métier l’est de plus en plus. De nouvelles normes arrivent tous les six mois, tout comme du nouveau matériel. Plus les années passent, plus ça s’accélère. Parfois, ce n’est qu’au bout de quelques années qu’on parvient à être à l’aise avec telle nouveauté et avec cette adaptation perpétuelle. C’est à nous de tirer parti des nouveaux logiciels et de partager entre nous nos expériences. Surtout que ce qui fonctionne sur un film, ne fonctionne pas forcément sur un autre. »
En effet, la manière d’étalonner n’est plus la même qu’à l’époque de l’argentique. Et les logiciels sont souvent de plus en plus complexes, plus vertigineux. « Des chefs opérateurs en 35mm m’ont déjà confié leur difficulté avec le numérique, qui offre trop de choix. Mais selon moi, le numérique nous pose la question de là où l’on veut aller. La personne qui a les réponses n’est plus le chef opérateur mais le réalisateur, à travers ses mots et sa sensibilité, observe Yov Moor. Le 35 mm était plus généreux dans sa manière d’entrevoir les choses, là où le numérique oblige à choisir une direction. Quand je suis perdu dans mon travail d’étalonnage, je reviens aux mots du réalisateur. »
Mais les qualités nécessaires ne s’arrêtent pas au maniement du tableau de bord pour travailler l’image. L’étalonnage est un métier de passion, un métier de solitaire ! Pour se lancer dans l’étalonnage, « il faut avoir une vraie appétence picturale, photographique et cinématographique, car on travaille sur la texture, on renforce des univers. Avoir une culture dans ces trois domaines aide beaucoup », recommande Dimitri Darul. Comme tout métier lié au 7e art, « l’empathie et la capacité d’écoute » sont également très importantes pour Yov Moor, « afin de savoir traduire l’intention d’un réalisateur et d’un chef opérateur », tout comme « la capacité de s’émerveiller encore, d’être sensible, avant d’être à l’aise avec l’outil pour être capable d’obtenir assez vite le résultat voulu. »

Serge Antony (DR)
Enfin, en tant que chef de poste dans l’équipe image, l’étalonneur bénéficie d’une bonne autonomie d’action mais demeure un acteur du travail collectif. C’est pourquoi Serge Antony insiste sur le fait qu’« il est important d’avoir un vrai respect pour le film et de comprendre ce que le metteur en scène a voulu mettre en place ». Quand il demande, un jour, à la directrice de la photographie Jeanne Lapoirie « si un plan n’est pas assez clair », elle lui répond « que le plan est bien car les personnages sont en train de parler dans l’intimité ». Entre les différentes directives, il faut savoir s’adapter et répondre aux attentes de chacun.
« Un réalisateur a besoin de voir le visage des personnages, leurs expressions, alors qu’un chef opérateur a plutôt besoin d’intention cinématographique et de marquer les effets. L’étalonneur doit donc faire le lien entre les deux. Il est important de s’adapter à la démarche des interlocuteurs de la branche plus artistique, en utilisant des mots qui ne soient pas d’ordre technique, et dans le même temps d’être capable de traduire les demandes d’effets esthétiques en réalisation technique. »
Formations
La plupart des étalonneurs n’ont pas bénéficié d’une formation spécifique, si ce n’est celle des formations englobantes dans le domaine de la post-production ou de l’image. C’est essentiellement un apprentissage de terrain et de pratique, notamment des logiciels. Le plus courant est DaVinci Resolve, mais il en existe bien d’autres comme Assimilate Scratch, Filmlight Baselight, Autodesk Lustre ou Mystika. Dimitri Darul, s’il enseigne cette spécialité à l’ENS Louis-Lumière au sein du département image, ne connaît pas de formation spécifique pour apprendre le métier. Selon lui, « même si certaines écoles privées se lancent dedans, le mieux pour quelqu’un qui veut se former est de commencer par télécharger un logiciel. Il faut d’abord développer sa sensibilité à force de travailler sur des films, puis ne pas avoir peur de la technique, car elle vraiment devenue extrêmement compliquée. » Cependant, Serge Antony recommande l’école toulousaine de l’ESAV, qu’il juge être une très bonne école de formation. « Les étudiants tournent un film par mois et ont le choix entre plusieurs caméras. Je pense que cette école va nourrir les techniques dans dix ans. »
Débouchés
L’étalonnage touchant à toute activité audiovisuelle, l’étalonneur peut travailler pour des documentaires, la fiction de cinéma ou de télévision, la publicité ou encore les clips vidéo.
Perspectives d’avenir
Étant donné que l’étalonneur œuvre dans la chaîne du film en tant que chef de poste dans l’étape de post-production, cela lui permet d’être aguerri, à force d’expérience, dans d’autres composantes de cette post-production. Il peut donc prétendre à effectuer du montage par la suite, ou de la conformation. De nombreux étalonneurs travaillent en free-lance, mais certains travaillent au sein d’une société de production ou encore pour un laboratoire (ce qui tend à être moins courant depuis l’arrivée du numérique et l’essor des logiciels).
Métiers liés
Monteur image, technicien SFX (effets spéciaux), directeur de post-production.
Salaires
Des inégalités demeurent hélas entre les rémunérations des hommes et des femmes, même si la situation tend progressivement à s’améliorer.
– Salaire net moyen pour les hommes : 3 685 €/ mois
– Salaire net moyen pour les femmes : 3 189 €/ mois
À noter que, pour les étalonneurs free-lance, la rémunération dépend aussi de la durée des missions, avec des étalonnages pouvant aller de deux jours à trois semaines.
Les conseils d’un professionnel
Yov Moor, étalonneur prisé à l’international, a notamment participé à Seules les bêtes de Dominik Moll (2019), M de Yolande Zauberman, César 2019 du meilleur documentaire, ou encore Valérian et la Cité des Mille Planètes (2017) de Luc Besson.
« Je leur dirais de ne pas être dogmatique avant de commencer à travailler sur un film. Car chaque film a son propre dogme, sa propre image. Ensuite, c’est comme en musique, il faut s’entraîner sur des courts-métrages, sur des longs, aller dans des laboratoires en tant que stagiaire ou assistant, en publicité ou en cinéma. Avoir du matériel chez soi est un bon moyen d’apprendre, pour pouvoir étalonner les courts-métrages de ce qui sont en recherche mais n’ont pas les moyens financiers et avoir affaire à des réalisateurs et chefs opérateurs. C’est ainsi que l’on apprend. Les outils sur le logiciel Resolve sont gratuits par exemple. »
Témoignage
Yov Moor

Yov Moor (DR)
« Je suis autodidacte, ayant commencé à travailler à dix-sept ans. J’ai baigné dans une famille tournée vers l’image et la photo. Ma mère travaillait pour Photopoche et mon père, architecte, a commencé très tôt à utiliser les outils informatiques au lieu de faire des plans papier. Ensuite, j’ai commencé à travailler dans les effets spéciaux et la 3D pour le cinéma, aux débuts du Scan 35 pour faire des intégrations. Puis, j’ai travaillé dans les jeux vidéo, dans la 3D et la modélisation. Après, j’ai fait différents métiers, comme réalisateur, avec des films pour le Futuroscope par exemple. Jusqu’au jour où j’ai monté un laboratoire de post-production et montage image il y a quelques années, qui s’appelait Alchimix. Ça a très bien marché pendant douze ans. J’ai pu y apprendre à maîtriser le projecteur, grâce à la pratique de la calibration, ainsi que l’assimilation technique pour servir la vision d’un chef opérateur ou d’un réalisateur avec lesquels je préfère parler d’autre chose que de technique. Celle-ci m’est plutôt naturelle, ce qui me permet de me concentrer davantage sur l’aspect artistique de l’étalonnage lors de mes collaborations. »
Dimitri Darul, professeur d’étalonnage à l’ENS Louis Lumière.
« J’ai fait un BTS audiovisuel option montage à Bayonne. À ma sortie, je suis entré comme assistant de post-production dans une société de production de documentaires. J’ai tout de suite effectué plusieurs tâches, de la préparation des salles de montage à la gestion de projet, en passant par l’assistance au monteur et la finalisation technique des films, comme la conformation. Donc, dans cette société j’ai appris à être assistant monteur, à faire la conformation de film et l’étalonnage. Depuis vingt ans dans ce domaine, je suis devenu chef monteur et étalonneur de documentaires, et depuis dix ans de fictions pour le cinéma. Je suis venu à l’étalonnage fiction parce que je venais de la vidéo ; le cinéma commençait à basculer vers le numérique, domaine que je maîtrisais déjà. »
Pour aller plus loin…
– Shade colorist – Association des étalonneurs : site internet.
La technologie évoluant rapidement, les livres et DVD parus sont rapidement obsolètes. Citons néanmoins quelques références passées :
– Aude Humblet, télécinéma et étalonnage. Quel matériel, quel usage ?, Éditions Dujarric
– N. T. Bonh et Jean-Paul Figasso (dir.), Écrire par l’image, Éditions Les Impressions Nouvelles, 2019, 288 p., 20 €
– DVD : Jean Coudsi, Maîtrisez l’étalonnage numérique DaVinci Resolve 9, Elephorm
Lire aussi :
– Travailler avec la lumière, le métier fabuleux du directeur de la photo
– Monteur son, la partition derrière l’image
– Scénariste ou la narration vivante comme moteur
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