La photographe Maddalena Rodriguez-Antioniotti capte toute la force de l’île de Chypre, loin de ses flancs maritimes asservis au tourisme. Elle dévoile l’intériorité de l’île, son intimité, son cœur battant dans le secret.
C’est une île étonnante que celle de Chypre, un pays singulier.
Divisé jusque dans sa capitale, Nicosie, entre une partie turque et une partie grecque ; membre de l’Union européenne mais plus proche de la terre sainte que des autres Etats-membres. Montrant dans ses contours orientaux la physionomie d’un doigt qui paraît désigner les confins de la Turquie et de la Syrie, sans que l’on sache si c’est pour les accuser ou s’en réclamer. Chypre est ainsi, comme l’a dit l’écrivain anglais Lawrence Durrell, « un étrange mélange de parfums – la Bible, l’Anatolie et la Grèce ».
Loin de ses rivages et de ses flancs maritimes asservis au tourisme, dans ses terres en retrait de la mer, Maddalena Rodriguez-Antioniotti, peintre et photographe originaire de Corse, en a saisi toute la beauté intérieure.
À la division politique du pays, la photographe répond par l’unité géographique et artistique, décidant dit-elle de « lire l’île comme un tout ». Les paysages qu’elle a photographiés se situent en effet autant dans la partie grecque que dans la partie turque, et même dans l’étrange zone qui les sépare, dite « zone tampon », sous contrôle de l’ONU. Où donc qu’ils se situent, ils sont sereins et puissants, pleins d’une force douce et pacifique.
Nombre d’entre eux offrent au regard la succession d’un premier plan fertile, d’un horizon minéral et, tout au-dessus, d’un ciel qui en paraît le témoin et le protecteur, un ciel que la photographe dit avoir voulu ériger comme acteur même du paysage.
Au premier plan, celui de la fertilité, dominent la végétation, les arbres méditerranéens, amandiers, oliviers et caroubiers, les champs cultivés, le mouvement et la fragilité végétale des herbes, les mille et une teintes et nuances de vert, jaune, rose, ocre, doré. Au-dessus, à l’horizon, dominent le hiératisme et la force minérale des montagnes, leurs silhouettes tutélaires, blanches ou grises et souvent lointaines, bien que certaines photographies en présentent les flancs hérissés de buissons, de troncs noueux et de restanques. Tout au-dessus, dans le ciel à la fois mouvant et éternel, s’épousent le végétal et le minéral.
Tous ces paysages témoignent discrètement, sans que ceux-ci apparaissent, du lent et patient travail des paysans, de leur ténacité et ingéniosité qui savent « cultiver l’incultivable jusqu’au plus haut des terres arides ». Au fond, la présentation des paysages qu’ils ont façonnés rend à ces paysans, à leur art modeste, un hommage plus puissant, plus probant, que celui que pourrait leur rendre la photographie de leurs visages.
Et l’on comprend donc le parti pris de la photographe, celui d’accorder la préférence au seul paysage pour refléter le labeur des hommes, sans s’arrêter à des silhouettes typiques, des villages pittoresques.
On comprend cette démarche artistique et même spirituelle qui s’appuie sur un vieil appareil argentique de la marque autrichienne Voigtländer, créée au milieu du dix-huitième siècle et disparue depuis cinquante ans. Revendiquant un « arte povera de la photographie », s’appuyant sur une économie et une précision qui nécessitent une concentration constante, un « calme absorbé » dit-elle, Maddalena Rodriguez-Antoniotti dévoile l’intériorité de l’île, son intimité, son cœur battant dans le secret.
Ce parti pris d’humilité, d’anonymat, montre la vie cachée du pays, loin de l’exubérance tapageuse des plages et de l’exploitation touristique de la côte.
Une force finalement se dégage de ces paysages, une force calme et pacifique, douce, non conquérante. La force qui naît d’un plein accord avec soi-même et le monde. Celle qui inspire la confiance et la gratitude.
.
Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Chypre, Au plus près de la terre, éditions éoliennes, 2022, 87 pages.
.
Soutenez la presse indépendante.
Abonnez-vous à notre chaîne YouTube.
Un petit geste pour vous, un soutien majeur pour nous !