Porteur d’une double casquette de réalisateur et monteur, Samuel Lajus travaille souvent en service commandé, à l’initiative des producteurs… Son profil atypique est l’une des 25 nuances de documentaristes, une série de portraits que nous initions, en clin d’œil à la fameuse case doc du – presque – même nom sur France Télévision.

Samuel Lajus est un homme pressé qui parle avec une voix douce. Sous le casque dru de cheveux ébènes hérités d’un père vietnamien, ce réalisateur obstiné, né sous le signe du Taureau, sourit en évoquant un parcours atypique. Le plus souvent sous pression devant son banc de montage ou dans le train, lui qui compte dix longs-métrages documentaires à son actif comme réalisateur et une quinzaine comme monteur n’avait pas vocation à devenir documentariste ni à travailler sur le réel. Ses études techniques en audiovisuel le prédestinaient aux contenants plus qu’aux contenus. « Mes camarades de promotion ont évolué vers des postes de technico-commerciaux… Moi pas ! La technique, ce n’était pas mon fort. »

Le premier déclic a lieu au Rwanda pendant son service militaire comme coopérant : « J’ai été recruté comme animateur audiovisuel au centre franco-rwandais de Kigali. Mais pas de matériel de tournage, ni de montage ! Quand c’est arrivé, je n’étais plus au centre culturel. » Entre-temps, il prend conscience des forces en présence sur le continent africain et comprend les enjeux géopolitiques. « À Kigali, j’ai vécu l’installation de l’armée française… Moi qui n’avait d’intérêt que pour les copains, le tennis et le tarot, j’ai découvert des projets de développement aberrants. C’était deux ans avant le génocide. J’ai commencé à rêver de documentaire. »

Pas gagné ! Resté au Rwanda le temps de quelques petits films, il passe par la communication d’entreprise à Montpellier, puis institutionnelle à Toulon, pour s’essayer une fois encore à la réalisation. « Le Front National m’a fait fuir. Après les municipales de 95, javais tellement peur de devoir réaliser des films pour la nouvelle municipalité FN que je suis ‘‘monté’’ à Paris, alors que je pensais ne jamais y aller. » Avant de quitter Toulon, il doit équiper la structure associative d’un banc de montage. « Sur les quinze systèmes de montage virtuel disponibles à l’époque, sans trop savoir pourquoi, j’ai choisi Avid Media Composer : vingt-cinq ans plus tard, je monte encore dessus ! »

Une sorte de « Spin Doctor » du documentaire

Cette compétence vite acquise sur un outil innovant est son cheval de Troie pour conquérir Paris. La Ville Lumière lui porte chance, via la Compagnie des Phares et Balises (CPB Films) qui lui confie le montage d’un premier documentaire, Mohammed VI. « Jean Labib, le producteur et fondateur de Phares et Balises, m’a mis le pied à l’étrier. C’est chez eux que j’ai monté mon premier documentaire… La même année, il m’a permis de faire ma première réalisation pour Canal +. » Il s’agit de Génération FLNC, un film de 2h30 en deux parties (co-auteur : Gilles Perez) et désormais culte dans les milieux nationalistes corses et sélectionné la même année au FIPADOC (Biarritz).

Pour l’heure, Samuel Lajus est en pré-montage d’un documentaire de société qu’il réalise pour la case Infrarouge de France 2, en troisième partie de soirée. Un sujet en phase avec l’actualité puisqu’il porte sur le maintien de l’ordre en France… Cette fois, le point de vue choisi est celui des forces de l’ordre, gardiens de la paix, gendarmes, secrétaires d’État et ex-ministres de l’Intérieur. « Ce n’est pas un documentaire sur les derniers événements avec des black-blocs, mais plutôt une analyse sur l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre et ses dysfonctionnements depuis les Gilets Jaunes. »

Une productrice lui a proposé ce projet. « C’est la spécificité de mon profil : 90 % des films que je réalise ont été initiés par d’autres. Un producteur en général vient me chercher. » Des universitaires ou des journalistes sont souvent à l’origine des ses films. C’est le cas de Les Roms, des citoyens comme les autres ?, un long-métrage de 90 mn tourné en Hongrie, en Roumanie, en France et en République Tchèque, et réalisé en 2017 pour une Thema d’Arte (co-autrices : Marion Lièvre et Olivia Barlier). Une anthropologue et une jeune réalisatrice, co- auteures, avaient d’abord mis la main à la pâte ; d’où ce titre de « metteur en narration » autant que « metteur en image » qu’il s’est inventé…

À peine sorti d’une réalisation, il enchaîne souvent avec le montage d’un film. Un jeu de casquettes qui lui permet de maintenir ses droits d’intermittents et peut-être aussi de lâcher prise…

« Quand on consacre deux ans de sa vie à la réalisation d’un film, c’est parfois difficile de voir la diffusion nous échapper. Le documentaire sur les Roms a été diffusé sur Arte dans une Thema intitulée ‘‘Dignité’’. L’autre doc portait sur les bélugas… Je n’ai rien contre les baleines, mais comment associer le traitement des Roms à celui des cétacés ?! Je ne m’en suis toujours pas remis. » L’art de maintenir l’ordre et la matière !

Kakie ROUBAUD

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25 Nuances de Doc est une case nocturne de France 2 dédiée au documentaire de création, tous les mardi à 00h50.

Autres volets de notre série « 25 nuances de documentaristes » :
Élisabeth Jonniaux : Anatomie d’un tournage

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