Alors que le cinéma Saint-Denis, cinéma d’art et d’essai niché sur la colline de la Croix-Rousse à Lyon, devait fêter gaiement son 100e anniversaire cette année, il est, comme les autres lieux artistiques, fermé depuis le 14 mars, minuit. Retour sur son histoire et rencontre avec son directeur, Roger Sicaud, auteur d’un ouvrage sur ce lieu emblématique, 100 ans d’histoire du cinéma Saint Denis…
L’histoire du Saint-Denis commence bien avant l’arrivée du cinéma sonore parlant à Lyon, une arrivée qui bouleversa à la fois le spectacle cinématographique et le métier d’exploitant de salle.
À l’origine : un cinéma paroissial de proximité
Adossé à l’église Saint-Denis, le cinéma est en effet, à ses débuts, tenu par les prêtres du quartier – lesquels garderont la direction du lieu jusqu’à la fin de l’année 1962 – et la première projection a lieu en juillet 1919 ; elle est annoncée dans le bulletin paroissial de ce mois-là : « La Fête du Retour, une Fête de famille sur les terrasses du 77 grande rue de la Croix-Rousse, pour le dimanche 6 juillet, de 3h à 6h. Sont invités tous les soldats de la Grande Guerre, leurs familles et tous les paroissiens de Saint-Denis-la-Croix-Rousse. Il est prévu à cette occasion : nombreuses attractions, jeux variés, cibles inédites, cinéma, Guignol, etc. pour l’amusement des enfants et la joie des parents. » Sachant que les premières salles sédentaires ont vu le jour en 1905 et que les projections ambulantes ont longtemps continué, il ne faut bien sûr pas imaginer une projection dans une salle à l’image de ce que l’on connaît aujourd’hui.
Cette première projection, le jour de ce qui a ressemblé manifestement à une sorte de kermesse, s’est certainement faite dans la cour se trouvant à l’arrière de la salle actuelle, dans une tente ou une baraque montée pour l’occasion.
À partir de cette date, les projections furent proposées pour des réunions de famille et le film choisi devait être « intéressant et convenable », si l’on en croit le Bulletin paroissial de juin 1925. Il n’y avait pas de billetterie, ce qui fait que les recettes ne provenaient que de la quête faite à chaque séance et du montant de la “carte de famille” exigée pour la soirée de famille du dimanche soir. Le cinéma débute donc une programmation ciblée avec deux séances le dimanche : une à 16h pour les enfants et une autre le dimanche soir, familiale, à 20 heures en évitant tout retard comme le précise instamment un bulletin paroissial : « Les heures sont très exactement respectées. La longueur des programmes nous oblige à ne pas retarder le commencement de la séance pour ne pas nous exposer à terminer trop tard. Nos amis voudront bien faire l’effort pour arriver à temps, afin de ne pas gêner, par leur retard, ceux qui ont eu confiance en notre horaire. Le sens social demande que l’individu sacrifie son plaisir et son intérêt personnels au plaisir et à l’intérêt communs. » Le respect de l’horaire est donc un acte fort pour la communauté !
Un même esprit mais des évolutions successives
Le cinéma connaît plusieurs changements au fil des années, avec l’arrivé du cinéma parlant en 1933, de grands travaux de rénovation l’été 1945 et l’arrivée du numérique et de la 3D en 2000.
La programmation actuelle se veut à la fois ambitieuse, avec des films d’art et d’essai en version originale, mais tente également de rester « le cinéma de proximité » que le prêtre fondateur appelait de ses vœux en diffusant donc parfois un film plus grand public et fédérateur.
Chaque film est précédé de la projection d’un court-métrage et d’un entracte avec la vente de glaces ou de bonbons par des « ouvreuses »… Un petit air ancien qui réjouit les enfants n’ayant pas connu cela et les plus grands, nostalgiques d’une époque révolue…
« Il faudra remettre la culture à sa place indispensable«
Le Saint-Denis, dernier cinéma de la Croix-Rousse, est véritablement une institution et un lieu chéri par les Lyonnais et les Croix-roussiens inquiets de l’avenir de leur salle en raison de la fermeture annoncée jusqu’en septembre.
Bien sûr, Roger Sicaud, comme de nombreux acteurs de la culture, s’inquiète également de l’avenir des salles de cinéma, tout en espérant que les mesures gouvernementales annoncées dans plusieurs domaines (fiscal, financier, social) s’appliqueront aussi à la filière cinématographique. Toutefois, les quelques aides prévues et annoncées ne masquent pas l’injustice du traitement des salles et de la culture en général, la politique ne s’intéressant à la culture que de manière fugace : « Les salles de cinéma et les théâtres sont les établissements les plus durablement touchés par le confinement, constate tristement le directeur du cinéma. Ceux-ci ne rouvriront qu’en dernier, car rassemblant le plus de monde en lieu clos. Triste et injuste sanction pour le monde de la culture, qu’il conviendra de remettre à sa vraie place, une place indispensable et légitime après l’épidémie. »
Heureusement, le Saint-Denis a un fonctionnement un peu particulier, qui va permettre de sauver sa structure : « Nous travaillons exclusivement avec des équipes de bénévoles, ce qui nous dispense de toutes les charges de personnel. Cela nous permet d’être moins vulnérables sur le plan financier. Néanmoins, au moment de la réouverture, il nous faudra être en mesure de reprogrammer à de nouvelles dates toutes les animations du centenaire qui n’ont pas pu avoir lieu et de reconquérir notre public qui nous avait manifesté tant de satisfaction, tant de gratitude et de remerciements en ce début d’année du centenaire. »
Garder le lien
En attendant de rouvrir ses portes, le cinéma reste en lien avec les amateurs de cinéma via les réseaux sociaux et notamment son mur Facebook sur lequel les habitués laissent des messages d’encouragements tout en déplorant une réouverture si tardive.
Par ailleurs, depuis le 24 avril et tous les jours jusqu’à la réouverture des cinémas, l’Agence du court métrage et la Fédération nationale des cinémas français proposent chaque jour un court-métrage à découvrir en accès libre. Le cinéma imagine aussi bientôt d’offrir à ses abonnés la possibilité de s’inscrire sur une plate-forme afin d’avoir accès à des films.
Outre la préparation de la rentrée 2020-2021 qui s’effectue avec les interrogations persistantes, le Saint-Denis réfléchit à des moyens de garder le contact avec ses passionnés si avides de culture cinématographique…
Correspondante Auvergne-Rhône-Alpes