Sculptrice et photographe installée dans un petit village touristique de Provence, Maria Catuogno a vu tous ses projets mis à l’arrêt avec le confinement. Sans aucun revenu, avec des perspectives très obstruées, elle continue d’espérer, non sans commencer dès aujourd’hui à prévoir l’avenir en cultivant… un potager.

Née à Paris, formée au Brésil, en Argentine et aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, Maria Catuogno s’est installée dans le petit village d’Ansouis, au cœur du massif du Lubéron, à proximité de Pertuis dans le Vaucluse. « Nous sommes éloignés de tout, ici, contrairement aux grandes villes, explique-t-elle, et cet éloignement a évidemment été renforcé par les mesures de confinement. »

Un lieu touristique devenu village fantôme

Ansouis, qui a notamment accueilli plusieurs tournages de Claude Berri (Jean de Florette et Manon des sources) vit essentiellement de l’agriculture et du tourisme. « J’ai un atelier ouvert au public dans le village, précise Maria Catuogno, ce qui est très bien parce que cela me permet, durant les périodes touristiques, c’est-à-dire entre Pâques et septembre, de rester sur place, d’exposer mon travail et de vendre. » Une situation certes agréable, mais qui se retourne contre elle en cette période de pandémie : l’atelier est fermé depuis la mi-mars, nul n’est autorisé à vagabonder dans les rues de ce joli petit village et la reprise de l’activité touristique elle-même n’est pas à l’ordre du jour. Il est même fort à craindre que le déconfinement n’entraîne aucun retour réel des touristes de toute l’année 2020.

Dans le cadre de la saison africaine en France, annoncée par Emmanuel Macron en 2017 à Ougadougou et qui devait se dérouler entre juin et décembre 2020, Maria Catugono avait prévu un petit festival, ainsi qu’une exposition de divers artistes, dont le photographe malien Seyba Keita, « un photographe dont j’aime le travail artistique, engagé et d’une grande finesse ». L’Africa 2020 d’Ansouis devait avoir lieu entre le 4 et le 13 avril, s’achevant ainsi le week-end de Pâques ; il a naturellement été annulé.

Le bilan, terrible pour Maria Catuogno, a un chiffre : zéro. Aucune vente, aucune exposition, aucune rentrée d’argent. Rien.

Une précarisation déjà croissante entre 2008 et 2020

Il y a bien les expositions parisiennes, qu’elle espère voir reprendre après l’été, mais de nouveau, l’incertitude demeure, tant la situation était déjà fragilisée depuis quelques années, et plus précisément depuis la crise financière de 2008. « Avant, je bougeais à Lyon ou Bordeaux, se souvient-elle. Mais de plus en plus, nous sommes obligés de nous limiter à notre lieu de vie, aux Rencontres d’Arles et à Paris. Le public parisien est probablement le plus ouvert en France : il se rend dans des expositions, achète des œuvres… »

Maria Catuogno dit ainsi avoir monté jusqu’à cinq ou sept expositions par an à Paris. « Mais à partir de 2010, j’ai néanmoins senti un ralentissement énorme dans l’intérêt porté par le public, tempère-t-elle. Petit à petit, j’ai réduit le nombre de venues à Paris : quatre fois, puis trois fois… L’an dernier, je ne m’y suis rendu qu’à deux reprises. »

La précarité croissante, le manque de budget, l’augmentation des frais d’approche (transports, logements, etc.), l’absence quasi systématique de versement de droit de représentation ou encore la diminution des ventes sont autant de causes à sa réduction d’activité. Cette année, avec la crise sanitaire, Maria Catuogno ne sait même pas si un trajet à Paris sera possible. « Je garde néanmoins espoir et prépare le Salon d’automne, en espérant non seulement qu’il aura lieu, mais aussi que les gens sortiront alors, car c’est un lieu où il y a en temps normal énormément de public. »

Des besoins divers et des aides fragiles

En attendant, les photographes s’organisent comme ils le peuvent. Le confinement a des effets jusque dans les impressions de leurs œuvres : « Il y a un roulement pour faire les tirages de photographies, car c’est un vrai budget. Je veux bien investir, mais il faut être certain qu’elles pourront être vendues dans les expositions et les galeries. Celles-ci étant annulées ou fermées, tout est chamboulé. » Certains photographes ont ainsi engagé des coûts énormes, voire payés de lourdes factures, sans possibilité d’exposition et de vente.

Du côté des aides mises en place par le gouvernement et les différents ministères, il avait été décidé en mars que l’aide du fonds de solidarité serait au prorata du mois. Si une telle mesure accompagne des diffuseurs (comme les grosses galeries) à l’activité régulière et pérenne tout au long de l’année, elle est totalement inadaptée pour les artistes-auteurs indépendants, a fortiori pour les photographes, qui peuvent vendre plusieurs œuvres un même mois et presque rien le mois suivant. Ainsi de Maria Catuogno qui réalise une grande partie de ses ventes entre la mi-avril et septembre. « Nous, artistes-auteurs, c’est sur l’année que nous pouvons voir notre chiffre d’affaires », confirme-t-elle.

Pour le mois d’avril, la direction générale des Finances publiques, comprenant la difficulté des travailleurs non-salariés et en particulier des artistes-auteurs à pouvoir solliciter ce fonds en regard de l’aléatoire temporel de leurs revenus, a heureusement décidé que l’aide serait au prorata des recettes net – hors taxe – annuelles (à diviser, donc, par douze mois), ce qui permettra à Maria Catuogno de toucher enfin un peu d’argent, pour la première fois depuis près de deux mois. « L’aide ne se situe pour l’instant qu’au mois d’avril, ce qui ne représente qu’un douzième du chiffre d’affaires. » S’il est logiquement à espérer qu’elle sera reconduite en mai (cela reste néanmoins à confirmer), d’une part elle n’est pas réversible, d’autre part rien n’est acquis pour les mois suivants.

Autant dire que la photographe pourra survivre un temps, mais qu’il ne lui sera possible ni d’investir dans de nouveaux matériaux, ni de prévoir sereinement les mois à venir. Car les charges et les cotisations ont été suspendues, et non reportées. « C’est une aide sans être une aide, car nous ne faisons finalement qu’accumuler des dettes. »

Cultivons notre jardin

En attendant, Maria Catuogno essaie de prévoir l’avenir en… commençant un potager ! « J’essaie de vivre autrement, parce que les mois à venir seront durs financièrement. L’avantage est que ça me libère des noirceurs que je pourrais être tentée de remâcher ; ça m’ouvre à une autre façon de vivre, plus près de moi. Au fond, je retrouve dans le potager une certaine sécurité mentale, explique non sans humour Maria Catuogno. Je me dis qu’au moins, à défaut d’autre chose, j’aurais des légumes ! »

Si le potager donne un but concret, évidemment temporaire, c’est que, sur le plan artistique, Maria Catuogno traverse une période très difficile. « J’en ai parlé avec des collègues : le confinement tue la création. À quoi bon créer ? Pourquoi ? Pour qui ? » Et de conclure : « Il y a une forme de dépression qui s’est installée dans notre profession. »

Pierre GELIN-MONASTIER