Amis tintinophiles, bien le bonjour ! Aujourd’hui, place au meilleur ami de l’homme, en tout cas d’un homme, Tintin. J’ai nommé : Milou. Renaud Nattiez lui consacre un court essai, sympathique et original, paru aux éditions Les Impressions Nouvelles. C’est notre aboiement critique du jour.
Ardent tintinologue Renaud Nattiez a publié plusieurs essais consacrés à l’œuvre de Georges Rémi, dit Hergé, dont un dictionnaire et une étude sur les (rares) femmes de la série.
Son nouvel opus est consacré à Milou, personnage trop oublié des études tintinophiliques selon l’essayiste, également haut fonctionnaire au service de différents ministères successifs. Cet ouvrage est publié aux éditions Les Impressions Nouvelles, dans le cadre de la collection “La Fabrique des Héros” où le célèbre fox-terrier côtoie désormais Jack Sparrow, Nosferatu, Batman, Sherlock Holmes et Dark Vador… rien que ça.
La thèse de l’auteur tient tout entière dans ces quelques lignes écrites à la fin de l’introduction : « Le succès universel de la saga […] nécessitait deux éléments clés, tous deux essentiels […] : un héros et son double, l’original et son négatif, l’acteur principal et son joker. » Milou, joker de Tintin, dans tous les acceptions du terme : du joker de la partie de cartes au Joker inversé de Batman.
Si Tintin représente une espèce d’Immaculée Conception faite homme, modèle de vertu et de courage à toute épreuve, Milou est un personnage nuancé, portant le contraste jusque dans son nom même : Milou est le surnom de la première petite amie du futur dessinateur ; il est aussi l’affirmation animale du canidé : il reste moitié loup, quand il se montre – entre nous – mi-homme plutôt… mais Pluto étant l’ami de Mickey, nous ne nous étendrons pas.
Revenons-en à Milou, facétieux, tantôt timoré tantôt brave, soumis – comme nous tous – aux tentations du quotidien : la gourmandise, majoritairement, mais également l’alcool, la susceptibilité, la vanité, les impulsions, la méfiance, voire la rébellion.
Renaud Nattiez dégage quatre fonctions à la présence de Milou : il sauve le héros, il offre un contrepoint théâtral, il apporte une dimension ludique et joue le rôle de transmetteur d’informations pour le lecteur qui, contrairement aux autres héros de la bande dessinée, comprend son langage. L’essayiste le compare à Scapin, Sancho Panza puis, plus tard, à Snoopy et au chien d’Épicure.
Cet essai a le mérite de nous permettre de relire la série sous un angle original, multipliant les correspondances, d’un album à l’autre, jouant des similitudes et des évolutions. Milou, seul compagnon à l’origine, partage peu à peu les planches avec des personnages colorés : le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, la Castafiore, les Dupondt… Renaud Nattiez analyse bien la fonction narrative, théâtrale et didactique de l’animal, les processus d’énonciation du sens, de moteur de l’intrigue ou encore de décalage humoristique que le fox-terrier favorise.
À juste titre, il explique que la disparition progressive – mais jamais totale – de Milou peut être provoquée par le souci de réalisme, de vérisme. Un chien qui parle, c’est sûr, ce n’est définitivement pas crédible ! Il écrit : « Le grain de vraisemblance se fait au détriment de la poésie, du fantastique et de la dimension comique. »
Mais reconnaissons toutefois qu’à trop vouloir dégager un sens à la présence du chien, au-delà des besoins de la bande dessinée comme telle, il en tire des conclusions qui nous semblent parfois un peu artificielles. Il discute de la sexualité de Milou comme d’autres discutaient autrefois du sexe des anges. Ça occupe peut-être, ça fait plus sûrement sourire, mais ça n’apporte finalement pas grand-chose, ni au neuvième art, ni au lecteur. Même le développement sur la queue du chien, que n’importe quel bédéaste sait être un élément facile pour la narration, devient le lieu de spéculations psychanalytiques de caniveau – mais pour un chien, me direz-vous, c’est adapté.
Bref, nous sourions en lisant les origines sociales de Milou, y voyant un plaisir d’exégète de s’interroger pour lui-même. Milou est, nous dit l’auteur, « un prolétaire aux goûts bourgeois ». Et donc ? Non rien. C’est tout. Même l’invocation de Nietzsche dans le titre de l’essai nous semble un peu grandiloquente au regard de la mince explication proposée.
L’ensemble reste néanmoins très plaisant à lire. Nous y découvrons des facettes insoupçonnées – Milou remplace en partie l’absence étonnante des enfants dans cette BD qui leur est pourtant destinée – et des comparaisons inattendues, comme le rapprochement avec le rôle du valet dans le théâtre classique, que pour ma part je trouve bien vu.
L’auteur résume (je le cite) : « Même lorsqu’il lui arrive d’agir contrairement au devoir, Milou sait où celui-ci se trouve. Comme son créateur, il est un être moral qui se revendique imparfait. Son appartenance à l’espèce canine lui permet d’excuser plus facilement ses défauts, ses failles. Paradoxalement, il apparaît plus humain que Tintin. »
Tout est dit. Il ne nous reste qu’à conclure avec Milou, qui a le dernier mot dans l’ultime album inachevé de Hergé, Tintin et l’Alph-Art : « Wouaf ! »
C’est beau comme du Molière.
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