Joris Mertens nous offre une nouvelle bande dessinée, magnifique, dans son style si caractéristique, qui ne ressemble à aucun autre. L’intrigue, férocement ordinaire, s’appuie sur un style graphique d’une remarquable finesse. Nettoyage à sec, c’est son titre, vient de paraître aux éditions Rue de Sèvres.
Joris Mertens aime les personnages solitaires, dont la marginalité le dispute avec la routine et l’accidentel. Béatrice, l’héroïne parisienne de sa précédente bande dessinée déjà parue aux éditions Rue de Sèvres, était discrète et timide ; l’irruption d’un obsédant sac rouge la conduit dans l’incertain, l’étrange, le mouvant.
Dans ce nouvel album, François (les prénoms eux-mêmes sont signe de cette simplicité) est un modeste livreur d’une blanchisserie, aux loisirs simples et circonscrits : il fréquente toujours le même estaminet, joue les mêmes numéros au Loto et aime à croiser Maryvonne et sa fille, à qui il souhaite offrir des jours meilleurs. Rien ne change dans son quotidien grisâtre, pas même la pluie qui s’abat continuellement sur une ville qui ressemble fort à Bruxelles, comme en témoignent les pavés, les trams, le climat et l’ombre de ce qui ressemble à un imposant Palais de Justice continuellement recouvert d’invraisemblables échafaudages (les Belges sauront de quoi je parle !).
D’un album à l’autre, on retrouve des éléments communs : une double page d’ouverture en plongée sur la ville (les voitures ont ici remplacé la foule), l’absence de narration écrite en dehors des dialogues, une certaine coloration rythmée par le rouge, et par-dessus tout l’oppression de la ville, de la foule, des panneaux publicitaires, des néons…
De nouveau, comme pour Béatrice, François est confronté à un accident de parcours : opportunité précieuse ou gouffre mortel ? L’atmosphère des planches ne nous laissent que peu de doute sur l’issue d’une intrigue somme toute évidente.
Mais là n’est pas l’important. L’enjeu ne réside pas dans un faux suspense qu’il faudrait entretenir à la force du crayon mais dans le ciel de brume et d’orage qui ne cesse de recouvrir ces êtres en perdition, écrasés par la ville grouillante et sinistre, par un déluge de misère, de solitude et de violence.
Il y a quelque chose de Sempé dans la construction de certaines cases, mais sans la touche d’humour qui ouvre à une infime respiration poétique. Le dessinateur belge nous broie ici, en même temps qu’il anéantit toute possibilité de fuite, de rêve, d’espoir.
Je reconnais que, dit ainsi, cela n’invite pas à aller y voir de plus près… Et pourtant, ce serait une grave erreur ! Déjà parce que l’objet édité est vraiment beau, avec sa tranche en tissu. Et surtout parce que Joris Mertens nous offre une magnifique bande dessinée, dans un style d’une authentique singularité, usant des couleurs avec élégance et des traits avec une finesse assumée. Nettoyage à sec est un grand album… terrible certes… mais somptueux.
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