Après La Promesse de l’aube, Éric Barbier s’attaque à nouveau à l’adaptation d’un roman, celui de Gaël Faye, Petit Pays, où il est à nouveau question de l’identité en construction d’un enfant… Si le film est d’une facture académique, il rend toutefois grâce au roman et suscite l’émotion chez le spectateur. Le film sort en salles ce mercredi 26 août.

 

Gaël Faye explique avoir accepté que l’adaptation de son roman se fasse afin « de faire exister le Burundi », le fameux « petit pays » du titre de son roman et du film d’Éric Barbier qui sortira le 18 mars. Il s’agit en effet pour lui de ressusciter des mondes oubliés, oubliés car non seulement il n’existe pas d’archives, mais également parce que la guerre civile qui oppose les Hutu et les Tutsi en 1993 n’est pas un événement connu de tous.

De l’espoir à la guerre civile…

Le film s’ouvre pourtant gaiement sur un espoir. L’institutrice des enfants leur explique que pour la première fois depuis l’indépendance du pays en 1962, le Burundi va connaître des élections démocratiques. C’est le Frodebu et son chef hutu, Melchior Ndadaye, qui l’emportent. Nous sommes en juin 1993. Mais en octobre de la même année, un coup d’État militaire et l’assassinat du président Melchior Ndadaye mettent le pays à feu et à sang. La guerre civile au Burundi va durer jusqu’en 2005, faisant environ 300 000 morts.

Le héros de l’œuvre adaptée, Gaby, onze ans – interprété de manière très juste par le solaire jeune Djibril Vancoppenolle – est issu de l’union entre Yvonne, une femme rwandaise tutsie exilée – entre 1963 et 1964 avait eu lieu une répression violente contre les Tutsi au Rwanda, si bien que des milliers de fugitifs avaient ainsi trouvé refuge au Burundi ou dans les États voisins – et Michel, un Français en poste au Burundi – incarné par un Jean-Paul Rouve magnifique, tout en émotion et fragilité contenues. Il a également une petite sœur, Ana. La guerre qui éclate brutalement détruit leur famille, leurs relations, leurs groupes d’amis, les haines tribales s’immisçant entre des personnes autrefois intimes et très proches. L’enfant métis – celui que ses parents ne voient pas de la même couleur, dira la mère à des amies – est obligé de choisir son camp : « La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais », dit en effet le jeune garçon.

Petit Pays montre cette recherche constante de l’identité pour cet enfant, mais sans insister inutilement sur l’émotion présente : nul besoin d’en rajouter, la situation et l’attitude de Gaby suffisent à la provoquer chez le spectateur.

Si Gaël Faye déclare que l’écriture lui a apporté la lucidité sur les événements, dans son roman, le récit à la première personne est la preuve que le jeune garçon est parvenu à dépasser le traumatisme. Éric Barbier choisit de respecter ce point de vue et de livrer le regard de Gaby sur son monde. Pour cela, il filme souvent à hauteur d’enfant, multipliant les plans où le héros est un observateur : il voit ainsi ses parents se disputer sur la terrasse, les surprend allongés sur le lit dans l’entrebâillement d’une porte, regarde par un petit trou dans un mur. Ce point de vue permet ainsi de poser la question de la présence d’un enfant en pays de guerre. Que peut-il comprendre et que veut-il comprendre ? Le choix du réalisateur est ainsi très juste.

Le paradis perdu

Une des grandes forces de cette adaptation est de mettre en scène le monde lumineux et joyeux de l’enfance. La première partie du film offre précisément ce spectacle-là, celui du pays comme un terrain de jeu géant, où les enfants se baignent avec un plaisir communicatif, volent des mangues aux voisins, organisent un lieu « secret » dans un combi Wolkswagen dans lequel ils peuvent fumer en cachette. Plusieurs séquences permettent de « visiter » le Burundi et ses environs, comme notamment la journée que passe la famille chez un ami, Jacques, au Zaïre. Ce dimanche est décrit comme une sorte d’échappée bucolique pour tous, même si Jacques tient des propos largement et lourdement teintés de colonialisme.

Si Petit Pays permet de faire advenir sous nos yeux un monde disparu, une sorte de paradis originel désormais inaccessible, il est aussi un très bel hommage à la littérature et à la création. Dans le roman, le narrateur écoute sa maman leur raconter « dans un long chuchotement haletant », à sa petite sœur et à lui-même, l’effroyable histoire de leur famille assassinée. Mais l’enfant ne veut pas entendre, il tente alors de se boucher les oreilles avec son oreiller. « Je ne voulais pas savoir. […] Je voulais me lover dans un trou de souris, me réfugier dans une tanière, me protéger du monde au bout de mon impasse, me perdre parmi les beaux souvenirs, habiter de doux romans, vivre au fond des livres. »

Hommage personnifié par la professeure de français de Gaby auprès de laquelle il trouve du réconfort. Elle est souvent là quand il se sent désemparé. Mais, alors qu’elle doit quitter le pays, le sort des ressortissants français étant extrêmement dangereux, elle lui cède quelques livres et, surtout, elle arrache une page d’un ouvrage que l’on entend en voix-off. Il s’agit d’un extrait d’un roman de Jacques Roumain, Gouverneurs de la rosée, qui offre alors la clef d’une réconciliation de Gaby avec son pays natal : « Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif-natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c’est une présence dans le cœur, ineffaçable, comme une fille qu’on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystère, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence. »

Le film se clôt sur une séquence magnifique et remplie d’émotion. Gaby, devenu adulte, éprouve le besoin de revoir son pays. Il y retrouve un ami resté là-bas qui lui sert de guide et qui lui raconte ce qui s’est passé en son absence. Il se rend alors sur la tombe de son père puis retourne dans la maison qui fut celle de son enfance : il découvre sa mère qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, héroïne tragique traumatisée, personnification de LA tragédie du pays, sorte de Lady Macbeth condamnée à effacer éternellement les taches de sang de sa famille disparue. La musique off choisie pour accompagner la séquence est la chanson composée et interprétée par Gaël Faye, « Petit pays », dans laquelle il « raconte » précisément son histoire, ajoute à l’émotion et permet au spectateur de s’identifier à ce que le héros ressent.

Terminer ainsi sur cette chanson permet ce retour au pays, ce « petit pays » qui est désormais le nôtre aussi…

Virginie LUPO

 



Éric Barbier, Petit pays, France , 2020, 111min

Sortie : 18 mars 2020

Genre : drame

Avec Jean-Paul Rouve, Djibril Vancoppenolle, Dayla De Medina, Isabelle Kabano, Veronika Varga

Scénario : Éric Barbier sur une œuvre originale de Gaël Faye

Musique : Renaud Barbier

Photographie : Antoine Sanier

Montage : Jennifer Augé

Distribution : Pathé distribution

En savoir plus sur le film avec CCSF : Petit pays

 



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