Les chaînes de télévision cherchent de nouveaux talents pour écrire et réaliser des documentaires scientifiques, un genre à part avec des exigences et des financements élevés.

« La science ne connaît pas les frontières. Elle ne dépend pas des contextes culturels. Elle est universelle », défend Fabrice Estève, président de Pariscience, le festival international du film scientifique qui a lieu chaque automne à Paris.

Carrefour international et catalyseur de projets avec un « salon des idées scientifiques », mais aussi promoteur d’une compétition de courts-métrages autour de binômes jeunes chercheurs / jeunes réalisateurs (48h pour écrire, tourner et monter un court), entièrement gratuit, en ligne comme en présence, du Muséum d’Histoire naturelle à l’Institut de physique du globe, ce festival présentait cette année soixante-trois films dont vingt-trois inédits venus de seize pays. Un genre documentaire à part…

Un genre facilement exportable à l’international

Universels et, par conséquent, facilement exportables à l’international, ces films qui parlent de science du point de vue des chercheurs – ou de leurs cobayes – connaissent aussi, sur nos petits écrans, un développement spectaculaire. Les thèmes vont de la fusée Ariane aux femmes de la préhistoire en passant par Gengis Khan, pour des scores d’audience de six cent mille à un million de spectateurs, avec un record historique à 1,7 millions sur France 5 pour Les dernières heures de Pompéi, produit par Gédéon. Impensable il y a deux décennies, quand la science était le pré carré de magazines de plateau oscillant entre le Géo Trouvetou et l’échappée belle, loin des odyssées cinématographiques en quatre-vingt-dix minutes auxquelles nous sommes désormais conviés.

C’est aussi que, derrière la façade grand public de Pariscience, se cache une association de producteurs – l’Association science & télévision (AST) – qui a bouleversé, il y a vingt ans, le paysage audiovisuel français.

« Auparavant, aucune chaîne française n’avait de case documentaire dédiée à la science, explique Fabrice Estève, également président de cette association, Quand on allait dans les rencontres internationales de producteurs, nous les Français, nous étions les parents pauvres, c’était frustrant ! Il a fallu faire pression sur les chaînes de télévision françaises et sur les pouvoirs publics pour qu’il y ait enfin chez nous des créneaux de diffusion de documentaires scientifiques. »

Toute une filière de production prête à agir

En 1995, quatre producteurs français se sont donc unis pour créer l’AST : Stéphane Millière (Gédéon), Maurice Ribière (La Compagnie des Taxi-Brousse), Fabrice Estève (Yuzu) et Films à 3, plus tard racheté par Capa.

« On a montré aux chaînes et aux différents ministères, de la Communication, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, que le documentaire scientifique était un genre à part, très intéressant, qu’il existait depuis quarante ans sur les chaînes anglo-saxonnes, que ce genre documentaire était complètement sous-représenté en France et qu’il y avait un marché à prendre…. Si les chaînes françaises créaient des cases dédiées avec un coup de pouce du CNC, il y aurait derrière toute une filière de production prête à agir ! » Aujourd’hui l’AST compte soixante sociétés de production et cent trente producteurs associés !

C’est ainsi qu’on a vu émerger puis augmenter, sur nos petits et parfois nos grands écrans, des films de vulgarisation scientifique. Pour les réalisateurs français, il y avait un nouveau terrain de jeu et des opportunités à saisir, au premier rang desquels les chefs opérateurs et les réalisateurs baroudeurs formés à l’école de Nicolas Hulot et de la chaîne Ushuaïa ! Ils étaient déjà les rois de l’aventure avec un grand A, mais puisque l’aventure devenait maintenant « de la découverte » et que la découverte, c’était parfois « de la science », à eux l’archéologie, la préhistoire, la paléontologie et l’histoire.  « On nous disait : attention plus de pirogue, plus de jungle ! », se souvient l’un d’eux en riant.


Kromdraai, à la découverte du premier humain de Cédric Robion

Un niveau d’exigence de plus en plus élevé

Le nom de ces réalisateurs a longtemps tenu dans un mouchoir de poche. Tous étaient des hommes, aucune réalisatrice dans le hit-parade… Mais les choses changent. Récemment, on a vu émerger Pauline Coste, une réalisatrice venue du cinéma avec une formation de scientifique, et un étonnant long-métrage, Dames et princes de la Préhistoire, diffusé en deuxième partie de soirée sur Arte.

Si les chaînes s’ouvrent aussi à des talents plus jeunes, comme Cédric Robion, auteur du formidable Kromdraai, à la recherche du premier humain, diffusé en première partie sur France 5, elles exigent souvent de ces nouveaux auteurs un bagage scientifique. Si besoin, on lui adjoint un co-auteur, journaliste scientifique, voire un scénariste, tant la pression exercée par Netflix a élevé le niveau d’exigence…

Et du côté du chercheur ? Promu « conseiller scientifique » au côté du réalisateur, il devient le nouveau héros que le spectateur accompagne dans ses découvertes : il tâtonne, espère, rêve, est déçu mais, pour finir, triomphe. Pour le réalisateur et l’auteur, l’exercice est périlleux. Il doit montrer cet homme, le chercheur, dans toute son humanité et, dans le même temps, créer une dramaturgie pleine de rebondissements, tout en rendant les démonstrations scientifiques accessibles au plus grand nombre. C’est ce que le CNC nomme les critères de « spectacle et d’intelligibilité ».

Un pari coûteux mais souvent payant

Fabriquer un documentaire scientifique de ce type coûte très cher : 40 % à 60 % de plus qu’un documentaire généraliste. « C’est un processus lourd, reconnaît Fabrice Estève. Il faut filmer pendant plusieurs années, envoyer des équipes dans plusieurs pays, avoir recours à des techniques d’animation ou de jeu vidéo, faire appel parfois, même si c’est moins fréquent, à des comédiens pour recréer des scènes sous forme de fiction. Les financements doivent être à la hauteur. » Paradoxe : les chaînes de télévision ne financent pas mieux les documentaires scientifiques, et même un peu moins…  Pour compléter, les producteurs doivent courir après d’indispensables co-financements internationaux.

“L’Aventure Humaine”, pionnière depuis vingt ans sur Arte, de même que “Science” qui lui succède, ainsi que “Science Grand Format” depuis 2016 sur France 5 sont les cases les plus recherchées par les réalisateurs de documentaires scientifiques et par les producteurs ! Décrocher « un doc » sur ces cases, les samedis et jeudis soirs, c’est le graal…

Car ces films scientifiques, plus lourds, plus chers et plus difficiles à réaliser, sont aussi ceux qui génèrent, en retour, le plus de monnaies sonnantes et trébuchantes dans les coffres forts et les porte-monnaie. Pour un film de quatre-vingt-dix minutes, dont le budget tourne autour de 400 à 700 000 euros, le réalisateur peut espérer toucher 10 % du film. Certes, il aura travaillé pendant quatre ans pour les gagner. « On se fait souvent avoir », reconnaît l’un d’eux… Un détail peut-être, tant l’aventure était belle !

Kakie ROUBAUD

"Dames et princes de la préhistoire", de Pauline Coste produit par Enfant Sauvage et Day for Night pour Arte

« Dames et princes de la préhistoire », de Pauline Coste produit par Enfant Sauvage et Day for Night pour Arte

 



Photographie à la Une : Dames et princes de la préhistoire, de Pauline Coste