Netflix a décidé de s’associer avec des institutions du cinéma français pour présenter des avant-première et organiser une rétrospective de ses films courant décembre. Cette collaboration n’est pas sans susciter des levées de bouclier du côté des protecteurs du circuit traditionnel du cinéma français et de ses professionnels.
Le 28 octobre dernier, Netflix annonce dans un communiqué cet événement — qualifié de mini-festival par certains — en collaboration avec la Cinémathèque française et l’Institut Lumière : d’un côté, une rétrospective de six films sortis en 2021 sur Netflix ; de l’autre, trois films en avant-première qui se tiendront du 7 au 14 décembre. Ces quelques jours sont baptisés le “Netflix film club”. On pourra y voir Pieces of a woman de Kornél Mundruczó ou The Power of the Dog de Jane Campion parmi la rétrospective, et La Main de Dieu de Paolo Sorrentino en avant-première.
La grande question, notamment depuis l’année 2017, lorsque les films Netflix ont été exclus de la compétition officielle du festival de Cannes, est encore aujourd’hui : quel film est du cinéma ou non ? Et pourquoi ? Ce dilemme quasi cornélien oppose ainsi l’expérience du public en salles à celle des plates-formes de streaming. Bien plus, celui-ci oppose la fabrique traditionnelle du cinéma à celle des commandes marketing faites par Netflix à des grands noms du cinéma, tels Martin Scorsese et Paolo Sorrentino. C’est en tout cas l’impératif suscité par cette polémique.
Est-ce aux institutions de trancher la question ?
Au regard des vives réactions contre ledit « festival Netflix », la réponse semble être radicalement négative. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un festival à proprement parler, comme l’ont nommé les syndicats de producteurs, qui ont demandé son annulation dans la foulée, et le Groupement national des cinémas de recherche (GNCR).
C’est aussi sur ce mot que la Cinémathèque a tiqué quand nous lui avons demandé de s’exprimer sur cette collaboration, ce qu’elle a refusé. Le GNCR a pourtant demandé aux « responsables des institutions concernées » un « éclaircissement sur leurs motivations » le lendemain de l’annonce de la plate-forme numérique. Et le silence perdure depuis.
Ce que l’on reproche à ce « festival d’avant-premières » n’est pas seulement d’être organisé par Netflix – et de le voir quitter l’immatériel du numérique pour surgir dans le monde réel – mais surtout d’être soutenu par les salles françaises. Et pas n’importe lesquelles ! Il ne s’agit pas de multiplexes aussi voraces et impersonnels que le sont les plates-formes, mais des salles les plus fidèles au patrimoine du 7e art, français et international. Plusieurs salles d’art et d’essai devaient également diffuser les films et ont fait marche arrière depuis. En effet, les syndicats de producteurs ainsi que les réalisateurs de l’Association du cinéma indépendant (ACID) ont été sans appel.
« Tout cela pourrait n’être pas grave si les salles de cinéma complices de cette idée navrante ne se prévalaient pas de soutenir la création cinématographique, ont-ils écrit dans un communiqué daté du 26 octobre dernier. Comment peut-on se croire salle “d’Art et d’Essai”, voire de “Recherche” lorsqu’on a abdiqué à ce point l’idée de l’Art, de l’Essai, et de la Recherche pour leur préférer des produits de consommation de masse et revendiquer ce geste comme une ouverture ? Il faut être bien cynique… »
Fustigeant ce partenariat prévu avec la multinationale américaine, ils avancent que, « quoiqu’on pense des productions de Netflix, elles n’ont rien à voir avec du cinéma ». Les membres du GNCR ont de leur côté comparé la plate-forme aux clubs de foot qui, « à défaut de pouvoir écrire l’histoire, achètent l’histoire ».
Un surprenant silence total
La Cinémathèque et l’Institut Lumière sont incompris dans leur démarche, et même interpellés sur « la portée symbolique de leur collaboration et la responsabilité qu’ils endossent » vis-à-vis du cinéma français et de son avenir.
Malgré nos demandes, l’Institut Lumière n’a pas non plus daigné répondre à nos questions concernant le ‘‘Netflix film club’’. Si nous n’avons pas davantage d’éclairages sur ces partenariats, cela peut supposer que la Cinémathèque comme l’Institut Lumière (Bertrand Tavernier, de son vivant, aurait-il été de la partie ?) n’ont pas voulu dégainer l’argument simple et efficace de la liberté, celui de l’universalité du cinéma ou encore de la volonté de servir de lieu de rassemblement pour le public, qui en est d’habitude privé sur les plates-formes.
Et qui ne dit mot consent à l’assertion de ses détracteurs.
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