La réalisation d’un reportage en caméra cachée est légitime lorsqu’elle porte sur un sujet d’intérêt général et qu’elle est le moyen le plus approprié pour informer le public. Ceux qui sont ainsi filmés à leur insu ne peuvent en conséquence exiger l’arrêt de la diffusion du reportage. Ne subissant aucun préjudice, ils ne peuvent pas non plus exiger des dommages et intérêts.

La cour d’appel de Paris l’a jugé à propos d’un reportage réalisé dans le cadre de l’émission Cash Investigation* intitulé « Nos très chères banques » et montrant des images tournées en caméra cachée dans les locaux d’une société de recouvrement de créances bancaires.

Le reportage ayant été mis en ligne sur le site internet de la chaîne France 2, plusieurs salariés de la société s’y sont reconnus et ont assigné en référé la productrice de l’émission et la chaîne de télévision. Estimant que leur droit à l’image et leur droit au respect de la vie privée avaient été méconnus, ils demandaient le retrait de l’émission du site internet et la suspension de sa diffusion.

En première instance, le juge des référés a déclaré irrecevable l’action des salariés qui n’étaient pas identifiables sur la vidéo et rejeté au fond la demande de la salariée qui était identifiable au motif qu’aucun élément de sa vie personnelle n’avait été dévoilé.

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Les salariés se sont tournés vers la cour d’appel de Paris.

Son arrêt rappelle d’abord que la condition d’identification, ou plutôt d’« identifiabilité », des personnes filmées, qui conditionne leur droit à contester le reportage, est appréciée de façon large : il n’est pas nécessaire que celles-ci aient été nommées ou expressément désignées dans le reportage. Il faut simplement que leur identification soit rendue possible, par les images ou les termes du reportage ou encore par des circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation.

Appliquant ces principes, la cour estime que la plupart des salariés de la société de recouvrement sont identifiables sur le reportage : ceux-ci ont en effet été reconnus par d’autres salariés de la société ou par des proches. Et il faut ici souligner que, comme souvent, les mesures de floutage et de dissimulation mises en place dans le reportage ne sont pas suffisantes pour faire échec à toute identification.

Étant ainsi identifiables, les salariés sont recevables à contester la diffusion du reportage qui a été filmé en caméra cachée, sans qu’ils aient consenti à ce que leur image soit diffusée.

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Deuxième rappel de l’arrêt de la cour : la liberté de la presse et le droit à l’information du public autorisent la diffusion de l’image de personnes filmées à leur insu à deux conditions.

En premier lieu, le procédé doit viser à illustrer avec pertinence un débat d’intérêt général, sous la seule réserve du respect de la dignité humaine, à laquelle il n’a pas été porté atteinte en l’espèce. En second lieu, le procédé doit être nécessaire et proportionné pour recueillir des informations livrées au public, qui auraient été difficiles à obtenir par tout autre moyen.

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La cour juge que ces deux conditions sont remplies par le reportage contesté. Son contenu et son objectif, à savoir montrer le fonctionnement et les méthodes des sociétés de recouvrement de créances, relèvent d’un sujet d’intérêt général. En outre, il apparaît que le seul contact officiel avec la société de recouvrement n’aurait pas permis d’obtenir les mêmes informations : le tournage en caméra caché était donc un moyen nécessaire et proportionné pour obtenir et délivrer l’information.

Au fond, il semble que les deux conditions en cause seront souvent remplies : la plupart des reportages d’investigation portent en effet sur des sujets de société ou d’intérêt général et il est évident que le recours à la caméra cachée permet d’obtenir des informations que les personnes filmées n’auraient pas divulguées si elles avaient su qu’elles l’étaient (filmées) et qu’elles étaient identifiables.

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Finalement, la cour confirme la décision de première instance et rejette la demande des salariés de la société de recouvrement : le tournage en caméra cachée était en effet légitime, ou du moins n’était pas illégitime, et il n’a pas été porté atteinte à leur vie privée puisque le sujet diffusé est limité à la sphère professionnelle et à la vie au sein de l’entreprise. Le reportage pourra donc continuer d’être diffusé.

Frédéric DIEU

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* Cour d’appel de Paris, 8 février 2021, n° 21/02237, Mme B. et a. c/ S Premières lignes Télévision et autres

 



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