Un agent secret, entre James Bond et Matrix, tente de sauver à la fois le monde d’une troisième guerre mondiale et une femme d’un féminicide : deux épreuves trop lourdes pour le Protagoniste ? Nolan à la recherche du temps futur…

Le Sauveur : c’est ainsi que Tenet a été présenté ou du moins ainsi qu’il était attendu. Attendu tant par les exploitants des salles dans une période où les spectateurs ne sont pas encore tous revenus au cinéma, et bien sûr, attendu par les nombreux fans de Christopher Nolan. Une sorte de mise en abyme du sauvetage en somme puisque, justement, le film annoncé comme LA solution pour sauver le cinéma en période de post-COVID relate l’histoire du sauvetage du monde d’une troisième guerre mondiale !

Autre « coïncidence » : ce film tant attendu – dont la sortie a maintes fois été retardée – a pour thème central la question du temps. Cela ne surprendra personne de la part Nolan que l’on peut désormais qualifier de réalisateur « spécialiste » du temps : que ce soit dans Memento (2000), qui propose une réflexion sur la mémoire et dans lequel les séquences en noir et blanc sont tournées selon un ordre chronologique inversé, ou dans Inception (2010) et Interstellar (2014), ses deux films de science-fiction qui se déroulent dans un futur proche. Dans Tenet, il est à nouveau question de temps, un temps passé que l’on peut lire dans les deux sens, un temps palindrome comme le titre du film lui-même, c’est-à-dire un temps que l’on peut « lire » dans les deux sens.

Disons-le en préambule, le cinéma d’action de Nolan donne – ou se présente comme tel – à réfléchir…

Des clins d’œil pour les « Happy few »

Alors, qu’en est-il ? Nolan sait filmer, c’est une évidence. Nolan connaît ses classiques, c’en est une autre. Ceci se vérifie dès les premières minutes du film au cours desquelles le spectateur se retrouve d’emblée plongé dans une scène d’action impeccable, totalement sous tension, située dans une salle de spectacle musical et qui fait immédiatement référence à Hitchcock et à la scène d’assassinat de L’Homme qui en savait trop… Sur le moment, on ne fait pas le lien, mais très vite, il se trouve que cette référence à ce film du maître du suspense devient savoureuse puisque le héros, un agent secret, se rend compte, au contraire, qu’il ne sait rien, qu’il ne sait pas qui sont ses ennemis, ni même contre qui il doit se battre.

Une autre allusion, plus simple peut-être mais néanmoins prégnante, est le clin d’œil à James Bond, autre agent secret, mais britannique celui-là. Pour cela, outre les citations du MI6, Nolan fait appel à Michael Caine – qu’il avait déjà mis en scène dans Interstellar en physicien qui avait peur du temps (tiens, tiens !) –, l’icône du cinéma britannique, et, dans un face à face savoureux, oppose l’agent secret américain à l’Anglais, épinglant allègrement les différences et les quelques tensions entre les deux nations (doit-on rappeler ici que Christopher Nolan est britannico-américain ?)…

Tous les éléments semblent donc parfaitement réunis pour que le spectateur passe un excellent moment de cinéma, entre scènes d’action, humour et clins d’œil adressés au cinéphile. Sauf que cela ne fonctionne pas. Passées les vingt premières minutes de scènes d’action – étonnantes certes, mais pas suffisantes pour faire un bon film, une fois l’explication livrée par une scientifique incarnée par une Clémence Poésy parfaite –, le spectateur commence à s’ennuyer. En effet, les images défilent, les immeubles se font et se défont, les voitures avancent et reculent, ou avancent à reculons, mais le plaisir et l’intérêt eux stagnent… et s’étiolent. Nolan semble avoir cherché à compliquer l’intrigue à outrance, avec une intention qui reste obscure. Son but est-il de faire oublier au spectateur de comprendre l’intrigue afin de simplement savourer les images ou, au contraire, de se repaître de l’idée que les spectateurs ne comprennent plus rien à l’intrigue et qu’ils auront envie de revoir rapidement le film afin d’imaginer pouvoir le comprendre ?

Un casting parfait

S’il est en revanche un point sur lequel on ne peut que saluer le film, c’est bien le casting et la direction des acteurs. Tous sont parfaits. Le héros – qui n’a pas de prénom et qui est simplement dénommé le Protagoniste, comme si chacun de nous pouvait s’identifier à lui – incarné par John David Washington est un peu lisse par rapport aux autres acteurs, mais prend de plus en plus d’épaisseur au fil du film. Kenneth Branagh, en Russe cruel et violent, offre ici une prestation réjouissante et admirable.

Mais c’est le personnage de Katherine Barton, interprété par Elisabeth Debicki – l’actrice incarnera Lady Di dans la saison 3 de la série The Crown – qui attire notre attention. Cette grande blonde longiligne d’1,88 mètre dépasse tous les hommes du film et on sent bien dans sa façon de la filmer que Christopher Nolan fait tout pour insister sur cette caractéristique physique. Pourtant, à aucun moment il n’y aura de scènes d’amour qui aurait pu faire basculer le personnage dans le cliché… Au contraire, cette femme qui va comme tous les personnages errer entre le passé, le présent et le futur finira par évoluer de la position de victime de féminicide à celle de femme ayant gagné sa liberté, incarnant l’image même de la femme libre comme nous le comprendrons dans une des séquences finales… Peut-être finalement que le message du film se situe là : c’est la femme qui est l’avenir de l’Homme…

Virginie LUPO

 



Christopher Nolan, Tenet, Grande-Bretagne, 2020, 150mn

Sortie : 26 août 2020
Genre : science-fiction
Classification : tous publics
Avec John David Washington, Elizabeth Debicki, Robert Pattison, Kenneth Branagh, Clémence Poésy, Michael Caine, Aaron Taylor-Johnson
Scénario : Christopher Nolan
Musique :
Ludwig Goransson
Photographie : Hoyte VanHoytema

Distribution : Warner Bros. France

En savoir plus sur le film avec CCSF : Tenet

 



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