Moins œuvre cinématographique que discours militant, The Great Green Wall se présente comme un long clip musical réunissant des stars africaines au service d’une cause, d’un espoir, d’une urgence : la Grande muraille verte du Sahel. Un film enlevé, au rythme des pulsations africaines. Le film sort en salles cette semaine, en même temps que les cinémas rouvrent.

Synopsis – The Great Green Wall est le projet ambitieux de faire pousser un mur d’arbres de 8 000 km s’étendant du Sénégal à l’Éthiopie. Cette ceinture doit lutter contre la désertification progressive de la région due aux changements climatiques mais également éviter les conflits croissants et les migrations massives. La musicienne malienne Inna Modja nous accompagne dans ce voyage musico-écologique le long de cette grande muraille verte et nous aide à comprendre ce qui n’est plus uniquement un enjeu africain mais mondial !

Thomas Sankara, incontournable

La chanteuse Inna Modja a un projet : écrire un album panafracain sur l’espoir que représente la grande muraille verte, symbole du changement que l’Afrique veut pour elle-même, projet conçu par des Africains pour les Africains. « Pendant longtemps, le rêve africain était en dehors du continent », explique-t-elle. La ceinture verte, qui doit s’étendre en un long corridor de quinze kilomètres de large sur près de huit mille kilomètres de long, du littoral atlantique jusqu’à la mer Rouge, représente un « african dream », c’est-à-dire la possibilité d’un avenir pour toutes les populations du continent, à commencer par les plus jeunes.

En ouverture comme en fermeture du film, une même phrase, une parole du Burkinabé Thomas Sankara : « Osons inventer l’avenir. » L’influence du président-héros, le magnifique documentaire Sankara n’est pas mort nous l’a rappelé récemment, est encore palpable aujourd’hui, alors qu’il a été assassiné en 1987 et que le projet n’est né qu’en 2002. Mais comme dans le documentaire de Lucie Viver, l’héritage de Sankara ressemble à une braise recouverte de cendre, de sable, celui du Sahel. Aujourd’hui, la reforestation ne concerne réellement que 15 % de ce qui est communément appelé la Grande muraille verte.

En dix-huit ans, une telle donnée pourrait donner à penser que le chantier avance. Il y a cependant urgence, car la famine sévit aujourd’hui cruellement dans bien des régions, car les mouvements migratoires liés à la pauvreté et à la violence n’ont jamais été aussi importants.

D’où le beau projet d’Inna Modja de sensibiliser à la fois les gouvernants et les Africains sur l’enjeu que représente cette muraille, qui vise à retenir tout autant le désert que l’émigration. Si les premières scènes paraissent un peu abstraites, tant le discours militant est omniprésent avant même d’entrer dans la réalité du sujet, le film gagne peu à peu en épaisseur, au fil des rencontres.

Un long clip militant sur un projet inouï

Il ne faut pas s’attendre à voir une grande œuvre cinématographique, comme peut l’être Sankara n’est pas mort. L’objectif est ici de réaliser un clip militant, comme en témoigne l’appel à rejoindre le mouvement sitôt le film achevé. Le documentaire met en avant des stars, des têtes d’affiche sensibles à la cause humanitaire, à la manière des tribunes collectives soutenant une cause commune, voire, pour prendre une comparaison plus proche, à celle des Enfoirés, association qui regroupe des artistes et personnalités publiques au profit des Restos du Cœur.

Il ne faut donc pas s’étonner qu’Inna Modja ait une posture manquant parfois de naturel, le film ayant une visée explicitement marketing. Il s’agit de nous adresser un message, de nous faire connaître un sujet enthousiasmant et adhérer à une cause à la fois inouïe et sublime : le plus grand projet écologique actuel sur la planète. Rien de moins.

Certaines affirmations répétées auraient certes mérité de vrais développements artistiques, telle celle comme quoi le réchauffement engendre la pauvreté qui engendre la violence. Nous connaissions déjà ce discours ; le cinéma aurait pu nous apporter son propre regard artistique.

Telle est la faiblesse de tout plaidoyer militant conçu pour lui-même : peu importe la forme qu’il prend (ici le documentaire), seule la finalité visée importe. D’où la primauté du discours, au détriment de la chair du rêve africain. Nous voyons les difficultés de l’Afrique, les enjeux politiques et sociaux de cette barrière verte nous sont montrés, nous percevons même sensiblement la souffrance des Africains, mais pas la chair de la muraille verte vécue comme espoir concret pour tout un continent. Seul le langage, l’exhortation, le panégyrique d’Inna Modja nous l’expose, en parole comme en chanson.

Rythme ou intériorité

The Great Green Wall est moins un documentaire qu’un discours mis en image et en musique, avec les incontournables ralentis, (très) nombreux dans le film, que l’on voit habituellement dans les vidéoclips contemporains. Inna Modja nous dit ce qu’elle éprouve au fil de son périple entre le Sénégal et l’Éthiopie, mais nous ne le voyons que très peu – à l’exception d’une rencontre avec trois migrants dans le désert et lors de sa traversée du Tigré, région située au nord de l’Éthiopie, à la frontière avec l’Érythrée, où de nombreux réservoirs d’eau ont été construits, afin de reverdir les paysages.

Le film privilégie le rythme à l’intériorité : rencontres artistiques, témoignages, compositions musicales, archives, concerts… Tout se succède à une cadence rapide, comme si l’œuvre voulait nous faire sentir la fameuse pulsation africaine dont parle Inna Modja lorsqu’elle traverse son pays, le Mali. Aucun témoignage ne s’arrête sur le regard, sur les mains, sur le visage des personnes qu’elle rencontre. Ces humanités sont elles aussi des instruments au service du message urgent qu’il s’agit de faire passer au monde. Chaque parole personnelle, intime, est entrecoupée d’archives volontairement choquantes, car l’adresse militante exige non pas une écoute intérieure, mais une adhésion immédiate devant la brutalité dont nous sommes à notre tour rendus témoins.

Dans Sankara n’est pas mort, le poète Bikontine s’efface derrière l’humble et lente pérégrination à la recherche des racines de son propre pays. Dans The Great Green Wall, Inna Modja occupe le premier plan, nous entraînant dans un voyage musical morcelé, à l’image des fragments de reforestation qu’elle visite (un ingénieur sénégalais dit, au début du film, que la grande muraille n’est pas tant une bande continue qu’une succession de parcelles), comme un album qui comporterait des titres différents, aux tonalités propres, mais unifiés par un thème commun, portés par un même espoir, celui de toute une jeunesse, d’un continent entier.

Pierre GELIN-MONASTIER et Pauline ANGOT

 

 



Jared P. Scott, The Great Green Wall, Grande-Bretagne, 2019, 90mn

Sortie cinéma : juillet 2020
Genre : documentaire
Classification : tous publics

Avec Inna Modja, Songhoy Blues, Didier Awadi, Betty G., Waje
Scénario : Jared P. Scott, Sarah MacDonald, Alexander Asen
Image : Tim Cragg
Musique : Charlie Mole + chansons originales d’Inna Modja
Montage : Pilar Rico

Producteur : Fernando Meirelles
Distribution : Mediawan, L’Atelier distribution

En savoir plus sur le film avec notre partenaire CCSF : The Great Green Wall

Crédits photographiques : © 2019 GREAT GREEN WALL, LTD All Rights Reserved

© 2019 GREAT GREEN WALL, LTD All Rights Reserved

 



Découvrir toutes nos critiques de films