Deux romans policiers américains des années soixante-dix viennent, par les hasards du calendrier éditorial, de ressortir : SWAG de l’écrivain et scénariste Elmore Leonard, écrit en 1976, et September September du romancier Shelby Foote, publié l’année suivante. Une bonne plongée dans l’Amérique des pieds nickelés, sur fond de conflits raciaux.
Les correspondances entre ces deux romans sont nombreuses : de minables bandits qui se prennent à envisager de gros coups, la question raciale comme une obsession, la chronique d’un échec aussi annoncé qu’inévitable, une crudité de langage pour signifier l’appartenance des héros au prolétariat, voire aux marginaux de la société…
On pourrait penser, par bien des aspects, que ces deux romans sont écrits par le même auteur, tant ils charrient une atmosphère de délinquance amateur, teintée de hargne, de violence sociale et d’humour sans prétention. On s’y laisse embarquer non sans plaisir, découvrant une certaine Amérique de l’époque, loin de ces grandes villes dites « civilisées » que sont New-York, Lors Angeles, San Francisco, Boston ou Chicago.
Rufus Hutton l’impulsif, Reeny Perdew la sensuelle et Podjo Harris le bourru sont de pauvres types blancs, de minables arsouilles qui s’aventurent à kidnapper, en septembre 1957, un jeune garçon noir issu d’une famille fortunée. Le trio a tout pour rater ; et il le fait bien. September September nous plonge en parallèle, par un jeu de narrateur alterné, dans le quotidien d’une famille noire, dont l’impitoyable grand-père a fait fortune, qui se trouve frappée de plein fouet par le racisme, d’abord de l’extérieur – au même moment, le gouverneur de l’Arkansas, Orval Faubus, décide d’interdire l’entrée au collège de neuf élèves noirs – puis intime.
« On n’en était plus au temps où un Billy le Kid se vantait d’avoir, au cours de sa vie, tué vingt-et-un mecs et un Juif. C’est alors qu’il avait pensé : et les Noirs ?
“Oui, je me suis posé la question et j’ai compris que je tenais quelque chose. Les Noirs, répéta-t-il tout en tapotant le feutre vert dont la table était recouverte. Là, ils iraient mollo, les flics, et les Noirs aussi, ils iraient mollo. Les parents, je veux dire. Tu crois pas qu’ils abouleraient le pognon encore plus vite […] pour récupérer leur même, plutôt que de compter sur les flics, tous des Blancs – et tous membres du Ku Klux Klan, pour ce qu’ils en savent, ou du moins presque tous – qui se soucieraient guère, ou même se ficheraient complètement de ce qu’il pourrait bien arriver au gosse. Eux, ils auraient qu’une idée, arrêter les coupables par n’importe quel moyen et tant pis si le même était pris dans une fusillade. Oui, ils seraient prêts à casquer, les Noirs, surtout en ce moment avec toute cette agitation causée dans le Sud par l’arrêt de la Cour suprême obligeant les Blancs à accepter les Noirs dans les écoles, et tout ce foin qu’on fait à Montgomery au sujet des bus, et ce qui va se passer de l’autre côté du fleuve, en Arkansas, avec ce Faubus qui pense qu’à se faire réélire alors que sa cote est au plus bas, à croire qu’elle pourra jamais remonter. Avoue qu’y a de quoi rendre les gens nerveux, spécialement les Noirs”. »
Nulle idéalisation d’un « Noir » qui serait essentialisé : Shelby Foote (1916-2005), de même qu’Elmore Leonard, décrit l’humanité telle qu’elle est, le taux de mélanine n’ayant jamais été, que l’on sache, garant d’une quelconque moralité.
Elmore Leonard (1925-2013), qui également scénariste pour le cinéma, raconte l’association de deux pauvres types, l’un vendeur de voitures citadin, l’autre petite frappe sudiste, qui décident de se mettre aux braquages, en observant dix règles « pour une vie de réussite et de bonheur » : rester poli durant les vols, ne pas côtoyer de junkies, ne jamais utiliser sa propre voiture, ne pas s’appeler par ses vrais noms, etc. De réussites en réussites, Franck Ryan et Ernest Stickley Jr., dit Stick, prennent de l’assurance, jusqu’aux premiers écarts : un double meurtre, un braquage alcoolisé… jusqu’au gros coup, pour lequel ils ont des prétentions au-dessus de leurs moyens (la première traduction en français avait d’ailleurs pour titre Plus gros que le ventre) et s’associent avec des malfrats noirs qui les prennent pour des cons. Tout le monde se méfiant de tout le monde, rien n’est destiné à réussir.
« Ils étaient dans l’appartement de Sportree, à l’étage au-dessus du bar. Et Frank était en train de leur raconter comment Stick avait flingué les deux braqueurs dans le parking de Northland.
Stick était très mal à l’aise, ça ne lui plaisait pas du tout. Quatre Blacks, trois mecs et une fille en train d’écouter Frank qui leur expliquait comment il avait flingué deux autres Blacks, sans leur dire comment ça s’était vraiment déroulé, en le faisant passer pour un pro de la gâchette : les deux gars sont venus, lui ont arraché le sac et voilà mon associé qui ne dit pas un mot, putain, rien du tout, il sort son flingue un .38 Chied’s Special et il fume les deux gars.
Il fume les deux gars… il en avait tué un en lui tirant dans le dos, nom de Dieu. »
Ce roman policier américain au ton gouailleur et au style – en apparence seulement – un peu « je-m’en-foutiste », est véritablement la marque de fabrique d’une époque. Shelby Foote et Elmore Leonard sont incontestablement des pères fondateurs d’un genre qui n’en finit pas de se développer, aujourd’hui encore, outre Atlantique et partout dans le monde.
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Shelby Foote, September September, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Jane Fillion et révisé par Marie-Caroline Aubert, Coll. La Noire, Gallimard, février 2020, 448 p., 21 €
Elmore Leonard, SWAG, Trad. de l’anglais (États-Unis) par Élie Robert-Nicoud, Coll. Rivages/Noir, Payot & Rivages, novembre 2020, 353 p., 18 €