VIDÉO – Le conflit ukrainien est au cœur de l’actualité depuis de longs mois. Mais la tension entre l’Ukraine, la Russie et l’Europe ne date pas d’hier, comme le montre le film Taras Bulba, grande fresque épique réalisée en 1962 par Jack Lee Thompson, avec Yul Brynner et Tony Curtis.
Taras Bulba s’inspire très (très !) librement du chef-d’œuvre de Nicolas Gogol.
Nous sommes à l’aube du XVIe siècle. Pour chasser les armées turques du pays, le roi de Pologne fait appel au peuple cosaque, mais il trahit son allié au soir de la victoire. Désormais dispersées sur toute l’étendue des steppes d’Ukraine, les tribus cosaques attendent le jour de la vengeance, en particulier Taras Bulba, l’un de leurs principaux chefs. Il envoie ses deux fils étudier chez l’ennemi, afin de le connaître, mais l’un d’eux s’éprend de la fille du gouverneur.
Il y a tout ce qu’on peut aimer et détester du cinéma hollywoodien dans ce film : des scènes assez impressionnantes, notamment lorsqu’il s’agit de nous plonger dans le monde des cosaques ; mais également des scènes mièvres et banales, qui enchaînent lieux communs et facilités narratives.
Si je choisis cette œuvre, rééditée récemment par BQHL, c’est parce qu’elle permet une approche détournée du conflit qui oppose actuellement l’Ukraine et la Russie. Je renvoie à la passionnante présentation du film faite par Pierre-Étienne Royer, spécialiste de la littérature russe, proposée en bonus du DVD.
Est contenue dans l’œuvre de Gogol, et par conséquent un peu aussi dans cette adaptation cinématographique, la dualité inhérente à la situation, entre les Occidentalistes, favorables à un rapprochement de la Russie avec l’Europe, et les Slavophiles ou Eurasiens, plus conservateurs culturellement, tournés vers les racines eurasiennes, et partageant une conception holistique de leur pays : ils voient ainsi la Russie comme un tout au-dessus des parties.
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Tarass Boulba marque le positionnement de Gogol. En 1835, lors de la parution de la première version, plus succincte, Nicolas Gogol reste en retrait sur la question qui nous occupe. Mais huit ans plus, dans une seconde version largement étoffée et qui constitue l’œuvre telle que nous la connaissons aujourd’hui, Taras Bulba penche largement du côté de la « russéité ».
Dans le film, en dépit des édulcorations, on ressent bien cette dimension collective de la russéité : les cosaques n’existent qu’unifiés, et tout ce qui fait le raffinement occidental est raillé. Ce débat, commencé ainsi au XIXe siècle n’a jamais été clos, comme le montrent les événements récents…
Outre le film récréatif de Thompson, avec un Yul Brynner très en forme et un Tony Curtis hélas à contre-emploi, pour ceux qui veulent aller plus loin, je recommande également le dernier numéro de l’excellente revue Nunc, qui consacre un passionnant dossier à l’Ukraine comme « pivot de l’Europe ». Il y est question de Gogol, de poésie et plus généralement d’art, avec deux magnifiques cahiers photographiques, des peintures d’Ivan Marchuk et des œuvres d’Anna Canter.
Il y a surtout cette question Est-Ouest qui secoue l’Ukraine aujourd’hui. Je renvoie notamment à l’entretien inédit avec Viktor Yushchenko, leader de la fameuse Révolution orange en 2004 et ancien président du pays (2005-2010).
Une œuvre à voir, une autre à lire, voilà qui forme une belle introduction à cet interminable conflit.
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