Notre série 25 nuances de documentaristes se poursuit avec le portrait d’une réalisatrice issue du journalisme, un parcours apparemment classique, pour une personnalité délicate mais tenace.
La brune réalisatrice, hier présentatrice de sport, ne se plaint pas de son année passée, une quinzaine de films courts réalisés en 2020, mais elle s’inquiète déjà pour son année à venir : « Je crois que ce sera plus compliqué pour les longs formats… On a tous profité du confinement pour développer des projets documentaires. Cette année, il n’y aura peut-être pas de place pour tout le monde. »
Dans le milieu du documentaire, on appelle « développement » l’écriture d’un projet sous sa forme longue et détaillée, qui précise le thème et l’intention du réalisateur, une vingtaine de pages destinées aux producteurs et aux chaînes de télévision, un travail d’auteur qui requiert de la concentration et du temps.
Lorsque nous nous parlons, Virginie Plaut a déjà dépassé cette étape. Elle est dans ce moment crucial qui suit le « développement », l’attente anxiogène d’une réponse des chaînes de télévision, qui peut s’éterniser plusieurs mois et dont dépendra, au final, toute une année de travail. En France, les chaînes de télévision sont les « diffuseurs » de films de fiction et du réel, mais elles sont surtout les principaux bailleurs de fonds, documentaires compris. Une myriade de producteurs, la plupart parisiens, se disputent leurs faveurs…
Sur son projet documentaire actuellement à l’étude, un sujet de société dont Virginie Plaut dit en riant : « Je préfère ne pas en parler pour ne pas donner de mauvaises idées aux autres ! », son producteur parisien est la société Eléphant, l’un des plus gros du moment…
Sa toute dernière réalisation, pour Eléphant et Cie aussi, porte sur la « Retirada » lorsque, en 1939, après la victoire de Franco, les Républicains espagnols traversèrent les Pyrénées pour se réfugier en France. Dans Invitation au Voyage, l’émission découverte des après-midi d’ARTE, la réalisatrice y fait le récit trop court (12 mn) de leur exode et de leur arrivée sur le sol français.
Des études de droit, Sciences Po et une école de journalisme : Virginie Plaut s’excuserait presque d’avoir « un parcours super classique » ! « J’ai fait mes premières manifs antiracistes dans le ventre de ma mère. À dix ans, j’ai vu à la télé un portrait de Jean-Marie Le Pen et je me suis dit : si tout le monde voyait ce portrait, personne ne voterait pour lui. J’ai su alors que je serais journaliste. »
Cette vocation précoce la conduit aux médias sportifs. Car la jeune Virginie est danseuse depuis ses trois ans. Et si c’est à l’aéro-danse qu’elle s’adonne à trente-huit ans, quinze heures hebdomadaires d’une discipline exigeante entre danse et fitness, elle a déjà pratiqué toutes les danses, de la classique à la contemporaine en passant par l’africaine, la polonaise et même la sardane, une multi compétence qui ouvre des portes. BFM TV lui offre la présentation de ses journaux sportifs.
« C’était génial mais j’en suis partie au bout de trois ans, volontairement. Je voulais travailler sur le terrain. J’aime échanger avec les gens. C’est ça mon métier. » L’écosystème de la télévision est fait de petites cases dans lesquelles on a tôt fait de vous enfermer… Il faut de la ténacité pour en sortir : « On me proposait toujours de la présentation. Je me sentais illégitime pour faire du documentaire. »
Ça a développé du partage entre nous
Beaucoup dans ce milieu ont éprouvé ce sentiment d’illégitimité, celui de n’être qu’une présentatrice de télévision, un simple journaliste qui se pique de faire du documentaire, un technicien cadreur qui se prend pour un réalisateur ou encore un réalisateur qui fait des sujets de « politique » et qui lorgne vers la « découverte », l’inverse étant tout aussi improbable.
Peu de combinaisons sont désirables dans le petit monde compartimenté des décideurs de télé : « Je m’en suis sortie en repartant à la base, par l’écriture de magazine dans la presse écrite d’abord, puis à C’est dans l’Air sur France 5, avant d’intégrer Invitation au Voyage sur Arte, deux magazines de télévision. » L’approche « magazine », plus en profondeur que le « news », est une passerelle qui permet souvent aux journalistes de passer de l’information pure au documentaire.
Mais les petits bijoux qui constituent le programme de tourisme culturel d’Arte sont-ils du « documentaire » ? « L’organisme qui redistribue les droits d’auteur prétend que non, au motif que ces histoires sont ‘‘formatées’’ et qu’il y a un plateau entre chaque histoire. Selon nous, c’est discutable… Dans le traitement et l’écriture, nos producteurs nous incitent à mettre une patte très personnelle. Notre approche est celle du documentaire. »
Avec d’autres, Virginie Plaut est à l’origine d’une mise en réseau des quatre-vingt-dix auteurs réalisateurs de cette émission, tous précaires, intermittents du spectacle et journalistes « à la pige » : « On partageait le même enthousiasme et les mêmes frustrations à l’égard d’Invitation, mais on ne le savait pas. Ensemble, nous avons négocié de meilleures conditions en toute bienveillance. La direction ne nous en a pas voulu et ça développé du partage entre nous. » Une intelligence collective très inspirante qui a reçu le soutien de la Guilde des auteurs et réalisateurs de reportages et documentaires (GARRD) !
La solidarité est un mot récurrent chez cette journaliste réalisatrice, fille d’enseignants, longtemps bénévole d’Amnesty International et qui a la question de l’exil chevillée au corps. « C’est presqu’une obsession chez moi. » Entre deux séries documentaires, elle réalise un moyen-métrage en Haïti pour Public Sénat : « J’ai mis deux ans à convaincre qu’il fallait parler de la Retirada, et cinq ans qu’Haiti était un bon sujet ! »
Autour de l’asile et de l’exil, elle avait déjà réalisé des longs-métrages, sur la vague d’immigration en Allemagne avec l’intégration des réfugiés par le théâtre et sur le parcours du combattant des migrants en France, cette fois pour la RTBF… Et puis la danse, toujours la danse, son autre obsession. « France 2 m’avait proposé d’écrire un doc sur le ballet français. Je l’ai développé début janvier. Début février, c’était validé ! C’était bien la première fois dans ma vie d’auteur que ça se passait aussi vite ! »
Autres volets de notre série « 25 nuances de documentaristes » :
– Élisabeth Jonniaux : Anatomie d’un tournage
– Samuel Lajus : L’ordre et la matière
Crédits photographiques : DR