Volker Schlöndorff, formé au cinéma par Malle, Melville et Resnais, est devenu – au milieu des années 60 – le chef de file du nouveau cinéma allemand, avec Fassbinder et Wenders. Palme d’or en 1979 avec Le Tambour, l’homme au trente longs-métrages est l’invité d’honneur du Brussels Film Festival ; il y a donné une leçon de cinéma dans une salle malheureusement clairsemée, en raison d’une concurrence déloyale.

La Belgique affrontait effectivement l’Irlande au même moment. Alors que l’équipe belge marquait son premier but de l’Euro, nous nous sommes mis à l’écoute du maître. Propos glanés au fil de la rencontre*.

La Nouvelle Vague & Billy Wilder

« À l’époque, on croyait qu’on allait tout faire et reprendre le cinéma à zéro. »

« Une fois qu’on avait fait partie de cette église [La Nouvelle Vague], et en plus une église très sectaire, il était facile de poursuivre dans cette voie. »

« J’allais voir les films de Billy Wilder en secret des autres de la Nouvelle Vague, car si j’ai appris mon métier avec eux, je n’étais pas en accord sur le fond. Mon rêve était de tourner des comédies, ce que je n’ai jamais réussi à faire finalement. »

Scénario

« Quand je décide d’écrire un scénario, je commence par me raconter le livre et voir quelles scènes je me rappelle le mieux. »

« J’écris toujours mes premières versions à la main, comme Jean-Claude Carrière, à ceci près que Jean-Claude – très cartésien – ne fait jamais de ratures alors que moi, oui. »

« J’étais plus doué pour adapter des scénarios que pour en écrire ; j’ai donc décidé de faire ce que je sais faire, plutôt ce que je voudrais faire. Dans tous les cas, il y a urgence de raconter une histoire. Toutefois, on hésite beaucoup avant de choisir un scénario, car on sait qu’on est parti pour deux ans et qu’il faut aller au bout du film. L’enjeu est de capter l’énergie cachée dans le livre. »

Travail avec les acteurs

Volker Schlöndorff - Leçon de cinéma 6 (crédits : Pierre Gelin-Monastier)

(crédits : Pierre Gelin-Monastier)

« Le plateau est pour moi un terrain de jeu. Le casting est avant tout une intuition. »

« Dans le dernier numéro des Cahiers du Cinéma, Isabelle Huppert dit que diriger un acteur, ça n’existe pas. C’est tout à fait vrai. Quand la caméra est au bon endroit, l’acteur n’a plus qu’à jouer. L’enjeu n’est donc pas de donner des directions à l’acteur, mais de lire et relire le texte avec lui, sur de longues périodes, pour comprendre le texte et le laisser résonner. Le travail avec l’acteur consiste à cerner les personnages, à trouver des rapports entre le personnage et l’acteur. Il ne faut surtout pas que l’acteur s’adapte au rôle, mais qu’il attire le rôle à lui. Plus nous réussissons à faire coïncider le personnage et l’acteur, plus le film est abouti. Un acteur qui joue un rôle, c’est malheureusement souvent du fabriqué. »

« Je ne suis pas Nouvel Âge, mais je crois profondément que travailler avec un acteur est un procédé spirituel, qu’il faut aller le chercher au plus profond de lui-même pour rendre vie à un film. »

« 90 % d’un film consiste à travailler avec des acteurs, à essayer de les faire arriver à une forte intensité. L’acteur n’est pas une machine, un rouage du film ; il s’agit d’amener l’acteur à la scène et d’être attentif à la disponibilité pour leur rôle. Lorsque Liv Ullmann avait des scènes difficiles à tourner, Ingmar Bergman prenait tout un temps avec elle pour la détendre, en la faisant parler de sa soirée de la veille. Et même sur le plateau, au moment de filmer, il s’approchait encore d’elle, lui touchant le bas et lui murmurant une phrase à l’oreille pour l’apaiser complètement. »

Montage

« Le montage est quelque chose de secret et qui est devenu très banal avec la révolution numérique. Avant, c’était comme de sculpter. Aujourd’hui, avec l’ordinateur, tout est instantané. Nous n’avons plus le feeling du temps. C’est très frustrant. »

Volker Schlöndorff (crédits : Pierre Gelin-Monastier)

(crédits : Pierre Gelin-Monastier)

« Par le passé, le montage consistait à gérer différents plans et les raccords entre eux. Aujourd’hui, c’est le choix des moments sur le film qui prédomine. Par exemple sur le film que je viens de tourner, nous en sommes à choisir parmi 3h de rush pour une scène de 6mn. Avec le monteur, qui n’a pas le scénario en main, nous travaillons à partir des matériaux filmés : ces derniers guident nos choix, si bien que nous savons quand un plan est à garder absolument. »

« Nous sommes constamment bassinés d’images. L’objectif n’est pas d’être dans le narratif, mais de choisir les moments et d’assembler le tout. »

Musique

« La musique change complètement un film. Soit elle n’a aucune incidence, soit elle donne une autre dimension. »

« Quand ça fonctionne, le film jusque là très prosaïque décolle tout à coup. Ce sont des moments de très grand bonheur. »

Cérémonie à Verdun

« Le président me convoque dans son bureau et me dit : Je veux une cérémonie pas comme les autres…” Je lui réponds : Vous n’avez qu’à en faire une sans militaires et sans discours !” »

Nous sortons de la salle et gagnons le grand air. Volker Schlöndorff, cigare à la bouche, n’a que le temps de se renseigner sur le score final, les klaxons et hurlements de joie nous parvenant de toutes parts : et 1… et 2… et 3-0 ! Nous fêtons cela en nous rendant, le soir même, à la cinémathèque de Bruxelles pour y redécouvrir Le Tambour, en version restaurée. »

Propos recueillis par Pauline ANGOT et Pierre GELIN-MONASTIER

 

* Les propos ont été recueillis sur le vif durant la leçon de cinéma qui a duré 1h30. Nous n’excluons pas certaines approximations dans les termes employés.

 



Crédits photographiques : Pierre Gelin-Monastier